RATTACHEMENT SPIRITUEL

Par un arrêté épiscopal du 8 fructidor an X (26 août 1802), l'évêque de Meaux demanda le rattachement spirituel à Châlons-sur-Marne de 4 à 5 foyers situés sur la route de Paris et dépendant de Fagnières. Le 10 floréal an XI (18, mai 1803), le préfet ratifia par arrêté cette nouvelle démarcation.
C'était un début d'annexion d'une partie de Fagnières par la ville de Châlons...

TENTATIVE D'ANNEXION, ÉCHANGE DE PARCELLES DE 1825

Depuis le creusement du nouveau lit de la Marne, une petite partie du territoire de Fagnières se trouvait sur la rive droite, le long du barrage. En avril 1825, la ville de Châlons demanda l'annexion de cette parcelle-La commune de Fagnières consentait à l'échange, à condition que Châlons proposât une compensation équivalente et de même nature. Fagnières reçut alors une parcelle de un hectare appartenant à M. Dagonet, au lieu-dit "Toussaint Dehors". Mais, Châlons demandait aussi le quartier des Guinguettes, accusant la commune de ne pouvoir y faire respecter l'ordre, du fait de l'éloignement de ce hameau. Châlons se plaignait que les dimanches et jours de fêtes, les jeunes gens de la ville et des faubourgs se réunissaient dans les cabarets, les auberges et les guinguettes, pour se livrer à l'alcool, aux jeux et à des conduites souvent indécentes. D'autant que, lorsque la police de ville apparaissait, les jeunes gens traversaient la rue des guinguettes servant de frontière entre les deux communes et lançaient des pierres au service d'ordre qui ne pouvait intervenir sur un territoire hors de sa juridiction! Le Conseil municipal de Fagnières, quant à lui, estimait qu'il n'y avait jamais eu de problèmes et que les jeunes gens se conduisaient d'une manière décente... La vérité se situait probablement à mi-chemin de ces jugements extrêmes...

1'° ANNEXION DE 1847

En 1842, une loi décida de la construction du chemin de fer à l'échelon national. Après bien des discussions, la Compagnie de l'Est choisit la vallée de la Marne pour le tracé de la ligne Paris-Strasbourg. L'emplacement retenu pour l'embarcadère se situait, pour sa presque totalité, sur le territoire de Fagnières. C'était l'occasion d'une nouvelle demande d'annexion. Châlons prétexta que cette commune n'avait pas la police de ville nécessaire pour assurer la sécurité dans les locaux du chemin de fer. Prétexte douteux puisque la Compagnie de l'Est avait son propre service de police. Mais elle obtint l'annexion - tant convoitée depuis 1825 - du lieu-dit "Les Guinguettes" et la Loi du 30 juillet 1847 amputa le territoire de Fagnières de 92 hectares de terrains.

"Les Guinguettes", lieu-dit du Petit-Fagnières comptait 125 habitants. La construction de l'embarcadère du chemin de fer nécessita l'expropriation d'un grand nombre de propriétaires qui firent reconstruire leurs maisons sur le site du Petit-Fagnières.

Le premier chef de gare fut Arthur Martin, celui qui, plus tard, fit fortune dans la fabrication d'appareils de chauffage et ménagers.
Au recensement de 1846, le Petit-Fagnières comptait à lui seul 464 habitants sur les 773 de la commune, soit 60 % de la population. Ceux-ci prirent alors conscience de l'importance croissante de leur quartier et des différences qui les opposaient à Châlons car celle-ci tenait à sa position de ville administrative et militaire et ne voulait pas devenir "ouvrière".

Le Petit-Fagnières le vivait assez mal et un écrit de l'époque le montre nettement.
"L'esprit et les habitants du Petit-Fagnières ne ressemble en rien à ceux du chef-lieu, les premiers (Petit-Fagnières) appartenant pour la plupart à la classe des commerçants sont actifs et amis du progrès les derniers (Grand-Fagnières) au contraire exclusivement occupé; de culture ne veulent pas sortir, quelques violences qu'on leur fasse des habitudes routinières qui leur ont été transmises par leurs auteurs A les voir éviter en quelque sorte tout rapport avec les habitants dl Petit-Fagnières il semble qu'ils craignent que leur contact avec eux n'amène quelque changement dans la monotonie de leur existence" (Demande des habitants du Petit-Fagnières au droit de s'ériger en commune sou le nom de Jacquessonville. Arch. dép. de la Marne E suplt 8264). 

Les habitants du Petit-Fagnières se sentaient également délaissés par le Grand-Fagnières - malgré les impôts substantiels qu'ils versaient à la commune. Ainsi on leur refusait les réfections de voirie, l'installation de becs de gaz sur la route nationale de Paris et ils durent ouvrir une souscription pour l'achat et l'installation de réverbères et pour couvrir leurs frais d'éclairage...

Ils demandèrent à se constituer en commune libre sous le nom de Jacquessonville, en l'honneur de la famille qui faisait, à cette époque la prospérité du hameau. Ils proposèrent que la superficie totale du finage soit divisée en deux parcelles. Sur les 2 191 hectares, le Grand Fagnières conserverait un peu moins de 1 138 hectares, le Petit Fagnières aurait 1 055 hectares. Cette partition permettrait aux quatre troupeaux de bêtes à laine, dont deux appartenaient au Petit Fagnières, de continuer de parcourir le chaume de leur commun respective... Leur souhait ne se réalisa pas.

2° ANNEXION DE 1875

En 1875, pour permettre l'installation d'une ligne de chemin de fer vers Orléans, Châlons demanda à nouveau d'annexer le Petit Fagnières. Après enquête la commune de Fagnières repoussa le projet à l'unanimité. Toutefois elle offrit au chef-lieu le terrain situé au lieu-dit "La Culée" pour y construire la gare d'Orléans (aujourd'hui disparue).

3° ANNEXION DE 1887
(...)

Pendant encore plus d'une année, les habitants du Petit-Fagnières vont se battre pour conserver leur liberté, malgré les offres d'argent et les avantages fiscaux proposés par la ville de Châlons à certains chefs d'entreprises du Petit-Fagnières et à certains habitants du GrandFagnières, manceuvres qui déclencheront bien des remous.

Une enquête à Châlons, décidée parle préfet ne rassemblera que neuf personnes. Une seule voix sera pour l'annexion et huit autres voix, contre. Cette histoire n'intéressait que fort peu de Châlonnais.
En ce qui concerne le Petit-Fagnières, la même enquête laissait apparaître que 235 chefs de familles étaient contre cette annexion alors qu'au Grand-Fagnières, déjà gagné à la cause de Châlons, 68 votaient pour et 3 seulement contre.

Avec la Société Française de Distillerie qui venait de racheter les caves Jacquesson, Châlons allait trouver un allié de taille. A la suite de quelques démêlés-avec la commune de Fagnières à propos des eaux usées provenant de la brasserie, le directeur, M. Barrois fils, offrit sa collaboration au maire de Châlons. 11 usa de toute son influence auprès de ses sous-traitants et d'autres intérêts particuliers poussèrent quelques Petits- Fagnièrots à changer d'avis.

Une enquête prouva que le directeur de la brasserie avait fait pression sur ses ouvriers en chargeant les contre-maîtres de leur remettre une note personnelle leur intimant l'ordre d'aller déposer à l'enquête pour l'annexion.

Pourtant, la bourgeoisie châlonnaise avait peur de ce monde ouvrier qui se développait dans ce périmètre. Cette crainte persistera et, il n'y a pas si longtemps, les habitants de la Rive-Droite ne se rendaient jamais - ou presque jamais - sur la Rive-Gauche par peur d'être attaqués et dévalisés. Ils ne traversaient les deux ponts que pour prendre le train... Hippolyte Faure, maire de Châlons de 1874 à 1884, se souciait déjà davantage d'agrandir les casernes de sa ville plutôt que de l'expansion du monde ouvrier qui s'organisait... II craignait sans doute que lors d'élection à la députation, la majorité ne lui soit plus favorable!

A la suite de toutes ces péripéties, après de nombreux recours au Conseil d'État et grâce à l'aide de Léon Bourgeois, futur prix Nobel de la Paix, le Petit-Fagnières fut rattaché à Châlons en août 1887. Ce rattachement administratif ne changeait pas grand chose pour la population de la nouvelle Rive-Gauche. II lui fallait, comme auparavant - et encore pour bien des décennies - passer les ponts de Chemin de fer et de la Marne pour se rendre chez le médecin, le pharmacien, le dentiste ou pour s'habiller, se cultiver ou se distraire.

Un siècle plus tard, ce quartier subissait une nouvelle attaque avec la fermeture de la "Brasserie de la Comète". Toutes les activités artisanales qui, pour l'époque, formaient la zone industrielle, l'auberge "A la Ville de Paris", fermèrent une à une, transformant l'active "RiveGauche" en un quartier dortoir...