L’insertion de la maison Pommery dans le négoce du champagne
Si ce terme se retrouve dans la
correspondance de la Maison, il ne nous est pas possible de dire s'il est
employé dans le sens que nous entendons encore actuellement. Il désigne
essentiellement deux types d'intermédiaire.
La
Maison confie ses vins à un premier commissionnaire, chargé de les convoyer par
train, ce qui est, rappelons-le, relativement récent[2]. Ces
vins sont expédiés aux clients ou consignataires en France, ou à d'autres
commissionnaires s'ils sont destinés aux marchés étrangers : ce sont des
commissionnaires expéditeurs, qui effectuent les formalités douanières et
assurent l’expédition du port de débarquement (ou de la gare frontière)
jusqu’au lieu de destination (client ou entrepositaire étranger). Ces
intermédiaires nous intéressent peu dans cette étude, bien que leur rôle ne
soit pas à négliger pour autant, notamment en ce qui concerne l’image de la
Maison. En effet, un délai de livraison trop long risque d'indisposer le client
; celui-ci peut refuser le vin et le laisser pour compte[3].
D'autre part, le champagne reste un produit fragile, qui nécessite des soins
extrêmes dans le transport, sous peine de voir se multiplier les
"couleuses"[4] et
s'exposer à des réclamations de la part des clients[5].
Toute plainte rejaillit sur l’image de la Maison[6].
C’est pour cette raison qu’elle travaille avec des commissionnaires qu’elle a
choisis, en qui elle a confiance et dont elle n’hésite pas à se séparer en cas
de plaintes répétées.
Ces commissionnaires jouent un rôle particulièrement
important étant donné la diversité des tâches qu'ils accomplissent. L’extension
commerciale de la Maison réclame en effet la présence, sur ses principaux
marchés, d'intermédiaires chargés de garder une partie de ses vins en dépôt et
de les livrer aux clients, moyennant une commission en fonction du nombre de
caisses. Dans la correspondance qui leur est envoyée, des avis d’expédition
signalent un envoi de vins, si ceux-ci sont à conserver en dépôt ou s'ils
doivent être livrés[7]. Ce système de dépôt
présente l’avantage de parer aux ordres les plus pressés et aux difficultés que
la Maison pourrait rencontrer dans l'expédition de ses vins, liées notamment
aux conditions climatiques[8]. La
fragilité du vin exige là encore des précautions extrêmes dans sa conservation,
ce qui donne lieu à des consignes très strictes de la part de la Maison, de
façon à éviter toute réclamation de la part de clients. S’ils conservent les
vins, ce sont les agents qui doivent gérer ce stock - ou qui doivent veiller à ce qu’il soit conservé dans
les meilleures conditions -, en fonction des consignes de la Maison[9]. Il
revient également à ces commissionnaires d'opérer le recouvrement de ses
créances, là encore en échange d'une commission. La Maison se charge elle-même
de facturer à ses clients[10], y
compris quand les livraisons se font directement des dépôts – sans doute pour
prévenir d’éventuels conflits avec ses représentants ou commissionnaires. A
l’échéance prévue, une traite du montant de la facture est mise en
circulation et le commissionnaire doit en «
soigner la rentrée » au crédit de la Maison[11].
Cette activité de recouvrement va de pair avec des activités de banque, que
nombre de maisons de négoce cumulent avec leurs activités commerciales
proprement dites. Ainsi, ces commissionnaires avancent bien souvent les frais
de voyage aux agents ou représentants pour le compte de la Maison[12]. Ces
différentes tâches sont généralement du ressort d'un même intermédiaire, mais
il peut arriver qu'elles soient dissociées sur certains marchés[13].
L'importance
des tâches qu'il accomplit fait de ce type de commissionnaire un personnage
clé. Une opération comme le recouvrement, qui exige des soins particuliers[14], est
d’une « importance vitale » pour la
Maison, dans la mesure où les fonds indispensables au négoce du champagne en
dépendent. Précisons que, s’il n’exerce à aucun moment un rôle dans la vente de
ses vins, la Maison lui accorde cependant une place centrale dans l'extension
de ses affaires :
« […] nous voulons adresser nos vins à une maison de confiance qui ne livrera qu'après renseignements
sur la valeur et la solvabilité du client ce qui la rendrait moralement
responsable des placements. »[15]
Nous
reviendrons par la suite sur cette sélection de la clientèle, mais cet extrait
permet de souligner l'importance du rôle dévolu à ce type de commissionnaire :
il a en charge les intérêts de la maison Pommery à l'intérieur de son champ
d'action Il doit veiller à la bonne marche de ses affaires. Cette expression
est relativement vague, mais elle recouvre la diversité des tâches qui lui
incombent[16], ou des problèmes qu'il
doit gérer. Le souci de la maison Pommery de travailler avec des maisons en qui
elle a toute confiance, et sur le compte desquelles elle a obtenu les meilleurs
renseignements, témoigne de la place particulière de ces commissionnaires.
D’ailleurs, la durée des relations entre la Maison et ces intermédiaires vient
ajouter à cette idée[17].
S'attacher leurs services nous apparaît particulièrement significatif, étant
donné l'importance de leur rôle, et le coût de leurs services. Cela représente
en effet un investissement pour la Maison, investissement qui ne saurait être
rentable qu’à condition de compter sur un chiffre d’affaire suffisamment
important[18]. Le recours à leurs
services témoigne donc d’un engagement marqué de la maison Pommery sur un
marché.
Les représentants constituent un des maillons
essentiels de l’activité de la Maison, car ils ont en charge le
"placement" de ses vins à l'intérieur de leur "champ
d'action", ou parmi leurs relations. Par "représentants", nous
entendons ici des représentants à commission, qui agissent pour le compte de la
Maison, et donc qui n'assument pas les risques de leurs placements[19].
Leurs conditions de représentation précisent les prix des différentes qualités
proposées par la Maison, ses conditions de vente, la commission – fixe ou
variable selon le prix de vente[20] – le
partage des frais, leur champ d'action. Cette commission ne leur est pleinement
octroyée que si les créances sont totalement recouvrées. Certains représentants
reçoivent également – en fonction des arrangements initiaux – un revenu fixe
pour leurs frais de représentation et/ou de voyage. Ce fixe peut être majoré si
les ventes dépassent un certain nombre de bouteilles[21]. Par
ailleurs, la Maison leur fournit gracieusement des échantillons de ses
différentes qualités de vins, qu'ils utilisent au cours de leurs démarches.
Ces représentants constituent un investissement pour
la Maison et leur recrutement témoigne à ce titre de sa volonté de développer
ses affaires avec une "place" ou un marché. Ils sont recrutés
soit par recommandation – d’un autre représentant[22] ou
d’un client – soit après avoir fait des "offres de services"
directement à la Maison, que celle-ci accepte ou non après s’être renseigné sur
leur compte[23]. Cependant, il importe de
préciser qu'ils ne font pas, à proprement parler, partie de la
Maison. Pour la plupart, ils exercent également d'autres activités de
représentation dans le négoce des vins. Cela les conduit à cumuler les
représentations de différentes maisons, une pour chaque type de vins
(généralement une maison de bordeaux, une de bourgognes, une de champagne, une
de cognacs, …)[24]. Les vins de Champagne
représentent rarement, semble-t-il, leur seule activité. En revanche, la maison
Pommery semble toujours passer des accords de représentation exclusive pour ses
vins, c'est-à-dire que ses représentants ne doivent pas s'occuper de la
représentation d'autres maisons de champagne[25].
Elle tient par-là même à s’assurer que les efforts de son représentant se
porteront sur sa marque. De fait, si des accords ont pu être contractés
avec des négociant en vins, il est très rare qu'ils gardent la possibilité de
vendre toutes les marques[26].
Le terme de "représentant"
est un terme générique, qui recouvre une grande diversité de situations. En
dehors des représentants attachés à une place ou à un marché, il nous faut
distinguer plusieurs catégories. Il peut en effet s’agir d’un "voyageur de
commerce", aux services duquel la Maison recourt lorsqu'il effectue ses
tournées dans tel ou tel pays. Elle lui paie des frais de voyage à raison de
telle somme par jour et lui verse une commission sur les ventes. Ce type de
voyageur, à l'inverse d'un commis-voyageur, cumule généralement les
représentations pour rentabiliser ses tournées. Poidevin père par exemple
effectue des tournées régulières dans l'est de la France et dans le Luxembourg
pour le compte d'une maison de vins de Bourgogne, en même temps qu'il s'occupe
du placement des vins de la maison Pommery. Dans le cas du
"commis-voyageur" - tel qu’il est décrit par M. Etienne[27] -, il est attaché à une maison, dont il est en quelque
sorte "salarié". Il effectue des voyages en fonction de ses besoins –
y compris là où elle a déjà un représentant – pour aider au développement de
ses affaires. C'est le cas de H. Vasnier à ses débuts dans la Maison et
peut-être de A. Hubinet, sur le marché russe, à partir du milieu des années
1870. La figure du "voyageur de commerce" se multiplie depuis le
second quart du XIXème siècle, quel que soit le négoce[28]. Ce
type d’intermédiaire représente un investissement important[29],
mais il permet également de limiter l'engagement sur un marché : ses frais de
voyage se limitent à quelques mois et il ne touche une commission, à la
différence d'un représentant fixe, que sur les ventes qu'il effectue au cours
de sa tournée. Il semble particulièrement bien adapté aux marchés où les
affaires ne sont pas très développées. Il y effectue des "dépenses"
pour essayer d’y lancer - ou relancer - les affaires.
Une autre catégorie est constituée
des "consignataires", à qui la Maison envoie un stock de vins en
dépôt – dépôt dit "en consignation". Ils ont la charge de le vendre
et d’en recouvrer les factures. Ce stock leur appartient, mais les modalités de
paiement peuvent varier. La Maison peut exiger d'être couverte du montant de
l'envoi à sa réception[30] –
commission déduite bien entendu – ou ne recouvrer son envoi qu'au fur et à
mesure des ventes[31]. Ce
système répond aux exigences d'un marché irrégulier, sur lequel la Maison
préfère limiter son engagement. Il permet de faire connaître les vins de la
marque dans une ville, ou une région, tout en limitant les frais d'expédition :
elle envoie un stock, qu'elle peut réapprovisionner si besoin est, au lieu de
plusieurs petites commandes éventuelles. Surtout, ce mode de vente limite les
frais de recouvrements et assure théoriquement une plus grande sécurité dans
ces opérations[32]. A priori, les
consignataires sont responsables de leurs placements, à savoir que la Maison
tient à retrouver le montant de son envoi, une fois le stock écoulé et ce, même
si le consignataire a des difficultés à tenir les prix ou à recouvrer ses
ventes[33]. Le
fait que ce mode de vente s'applique essentiellement aux marchés les plus
lointains – et donc des marchés que la Maison ne connaît pas – témoigne sans
doute d'une certaine prudence. Ainsi, ce mode de vente régit les relations avec
le marché américain tout au long de la période d'étude, dans une optique de
solidité des affaires. Il n'en présente pas moins cependant des risques, à
commencer par celui de ne pas récupérer le montant de son envoi si le
consignataire détourne le stock[34].
Une autre distinction s'impose, qu'il convient de
prendre avec précaution toutefois car les nuances sont difficilement
identifiables : il s'agit de la différence entre "représentant de commerce"
à proprement parler et "agent". Notons tout d'abord une certaine
évolution dans l'usage de ces termes dans le cas de la maison Pommery : à
partir du milieu des années 1870, il n'est quasiment plus fait référence qu'à
des "agents", alors que le terme de "représentant" est
généralement employé auparavant. La distinction entre les deux relève à la fois
d'une question de rôle et d'échelle. La Maison s'engage avec un agent par un
traité, par lequel elle lui délègue la gestion de ses intérêts commerciaux et juridiques
sur un marché[35]. Ainsi, quand elle a
décidé de se séparer de ses anciens agents sur le marché anglais et recruté A.
Hubinet, Kniep & C° déclarent renoncer à « l’agence de [ses] intérêts en Angleterre »[36]. A l’échéance
prévue, elle peut décider de retirer son agence, tout en autorisant son agent à
opérer par la suite comme représentant[37]. En
vertu de la délégation dont il jouit, il lui revient de travailler son marché
comme bon lui semble, du moment qu’il développe les affaires. Il a la
possibilité d'employer des sous-agents[38], et
la Maison doit lui demander son accord si elle veut recruter d'autres
intermédiaires pour travailler son marché[39]. De
fait, un agent touche une commission sur toutes les affaires que la Maison fait
sur son marché. A la différence, elle n'octroie en général à ses représentants
qu'une commission réduite sur les affaires faites dans son champ d'action sans
son intermédiaire. En 1860, ce système d'agence en est à ses tout débuts dans
l'espace commercial de la Maison. Elles sont probablement au nombre de quatre :
une à Paris et une agence générale en Allemagne, en Belgique et en
Grande-Bretagne. A la différence, un représentant évolue à une échelle plus
locale. Il peut prendre des ordres pour la Maison du moment qu'il ne sollicite pas
la clientèle d'un agent ou d'autres représentants. Il a pour rôle de développer
les affaires dans sa propre clientèle ou dans sa ville et ses environs. Dans
les faits, il nous faut avouer une certaine incapacité à définir précisément
leurs attributions exactes. Nous observons d'ailleurs une grande diversité des
conditions, que ce soit entre représentants eux-mêmes ou entre agents. Il en va
ainsi des commissions touchées sur les ventes par exemple[40]. La
distinction entre "agent" et "représentant" est d'autant
plus difficile à saisir qu'elle ne se retrouve pas forcément dans le discours
de la Maison[41]. Il n'est pas interdit de
penser d’ailleurs que cette distinction se creuse progressivement, à mesure que
se fixent les attributions des agents. Mais il nous faudra revenir sur ces
évolutions par la suite.
Deux tâches forment l'essentiel du travail que la
maison Pommery attend de ses intermédiaires, principalement de ses différents
"représentants" : la gestion de la clientèle et la promotion du
produit[42]. Si
ce travail concerne plus ou moins tous ses représentants, il est
essentiellement du ressort de ses agents, à qui certaines tâches spécifiques
sont en outre dévolues. Nous parlons ici de "représentant" dans son
sens générique.
Tout d’abord, un représentant se voit confier la
gestion d’une clientèle déjà acquise à la Maison, à laquelle peut venir
s'ajouter sa propre clientèle, ses propres relations. Ainsi, une des premières
choses est de remettre, au nouveau représentant ou voyageur, la liste des
clients que celui-ci a l’habitude de solliciter[43], ou
qui ont déjà pris du vin à la Maison par l'intermédiaire de son prédécesseur.
Cette clientèle constitue un capital qu'il lui revient de faire fructifier car
la Maison attend de lui non seulement qu’il la conserve, mais également qu’il
l’accroisse :
« […] En effet, tandis que nos affaires grandissent au dehors,
nous avons le regret […] de voir celles créées et confiées à vos soins par
notre Sieur Greno diminuer sensiblement. En vous confiant sa clientèle
notre Sieur Greno entendait non seulement l’entretenir et la conserver mais
l’augmenter par des soins spéciaux, assidus, des visites répétées, un temps et
un argent précieux consacré à obtenir ses faveurs et nos relations au lieu de
grandir ont été toujours en diminuant et périclitant. »[44]
Ce passage illustre les exigences de la Maison à
l'égard de ses représentants. Il leur faut d'abord "entretenir" la
clientèle qui leur a été confiée – ce qui implique de la visiter. Ces visites
sont l’occasion de se rappeler au souvenir des clients. Leur enjeu se comprend
surtout à la lumière de la concurrence qui règne dans le négoce du champagne :
visiter permet d'entretenir la faveur acquise par la marque auprès de la
clientèle qui, sollicitée par des représentants concurrents, risquerait sans
cela de se détourner de la marque[45].
Ainsi, H. Vasnier conseille à ses représentants de ne pas les négliger,
notamment quand le contexte est difficile sur un marché[46].
La Maison attend également de ses représentants, comme
le montre cet extrait, qu'ils accroissent cette clientèle. L’essentiel de son
"recrutement"[47] se
fait en effet par leur intermédiaire ; il y a, semble-t-il, peu de relations
directes entre la Maison et des clients et, si de nouveaux clients s'adressent
à elle, elle fait suivre leurs lettres vers ses représentants. Ceux-ci sont
donc les pivots de l'extension de ses affaires. Il est intéressant de noter ici
les exigences de la Maison, exprimées dans l’extrait ci-dessus, quant à ce rôle
: il requiert, comme le souligne H. Vasnier, des «soins spéciaux». Les reproches adressés à son représentant
témoignent d'ailleurs de leur importance, que traduit également le vocabulaire
employé : « assidus », «visites répétées
», « temps et argent précieux », « obtenir ses faveurs ». Il est évident
que le champagne ne peut pas se vendre comme n'importe quel produit en raison
de son prix élevé et de son statut, qui en font un produit réservé à une
certaine élite. Les relations commerciales requièrent du tact. Elles passent
par des dîners[48], des dégustations, des
visites, etc… Un bon représentant doit disposer son client à acheter plutôt que
faire l'article pour vendre[49].
La
Maison tient à ce que ses représentants ne ménagent pas leurs efforts, que ce
soit pour entretenir la clientèle ou pour conquérir de nouveaux clients. Dans
l’extrait ci-dessus, le manque de travail de son représentant motive la
décision de la Maison de s'en séparer, au profit d'un «agent spécial», recruté «
pour donner une impulsion nouvelle et régénératrice à [ses] affaires »[50]. Cette exigence
se justifie là encore par la forte concurrence qui règne dans le négoce du
champagne[51]. L’importance du travail
nécessite la présence permanente d’un intermédiaire, non seulement pour
entretenir le noyau des clients fidèles, mais également pour étendre ses
affaires face aux maisons concurrentes[52].
Dans ce contexte, la Maison a besoin d’intermédiaires qui consacrent leurs
efforts à pousser la marque. Plus généralement, c’est ce contexte qui explique
le recours croissant à des représentants plutôt qu'à des voyageurs. Dans son
étude sur la maison Clicquot, M. Etienne montre que le
"commis-voyageur" est adapté à l'étroitesse et à la dispersion du
marché des vins de Champagne au début du XIXème siècle. Ce mode de
commercialisation ne répond probablement plus à la réalité d'un négoce en
pleine expansion et fortement concurrentiel. L'exemple de Marguier peut
d'ailleurs être interprété dans ce sens : N. Greno lui a confié la clientèle
qu’il a lui-même créée.
Le
représentant, chargé d'étendre les relations commerciales de la Maison, doit
respecter certains principes qu'elle lui impose, à commencer par une sélection
rigoureuse de la clientèle :
« […] En terminant, permettez-nous de vous recommander d'apporter dans
le choix de vos clients tous les soins possibles et la sévérité la plus grande.
Nous vous avouons que nous aimons mieux nous abstenir que de faire de mauvais
placements. Ne vendez donc qu'après vous être bien renseigné et ne frappez
qu'aux bonnes portes, évitez les maisons ou les gens douteux, ne faites
d'affaires qu'avec ceux dont la solvabilité est parfaite, ce sera le seul et
unique moyen de nous satisfaire. Nous préférons moins d'affaires quand elles
sont bonnes et de tout repos à beaucoup lorsqu'elles sont mauvaises. »[53]
Ce travail de sélection, indissociable du recrutement
de la clientèle, fait du représentant le garant des intérêts de la Maison. Il
se comprend au regard des pertes occasionnées par la vente du champagne :
difficulté à recouvrer les créances à cause de faillites ou de la faible assise
financière de certains clients[54],
laissés-pour-compte, etc…, problèmes qui sont en grande partie liés au prix
élevé du vin et à la forte sensibilité de ce négoce à la conjoncture
économique. Précisons que l'enjeu est crucial pour la Maison étant donné
l'importance des capitaux investis[55].
Elle ne peut se permettre de perdre de l'argent car c'est la bonne marche de
ses affaires qui dépend de ces rentrées. Aussi exige-t-elle de ses
représentants qu’ils prennent tous les renseignements sur la moralité et la
solvabilité des clients ; c’est ce qu’elle recommande systématiquement
lorsqu’elle leur envoie les lettres de clients. Dans le cas des agents, elle
leur demande de ne pas effectuer de livraisons du dépôt sans effectuer ces
démarches préliminaires. Cette prudence apparaît de manière quasi
"obsessionnelle" dans l’extrait cité précédemment. De manière
récurrente dans la correspondance, la maison Pommery recommande à ses
représentants de privilégier une logique qualitative dans le développement de
ses affaires au détriment d'une logique quantitative : la sécurité doit
l’emporter sur le chiffre d’affaires. La multiplicité des références vient en
souligner l'enjeu[56].
D’ailleurs, la Maison incite ses représentants à la privilégier en ne leur
octroyant une commission pleine qu’après bon recouvrement des créances[57].
Ce principe de sélection – de distribution sélective –
n'est pas une nouveauté. Le négoce du champagne étant largement orienté vers
l’exportation, et le prix du vin relativement élevé, le recouvrement des
créances s’est toujours imposé comme une préoccupation pour les maisons. La
maison Pommery ne fait que reprendre un principe traditionnellement employé, comme
le montre l'exemple de la maison Clicquot au début du XIXème siècle[58].
C’est alors au commis-voyageur d’assurer cette sécurité dans les affaires. En
revanche, la maison Pommery accorde également une place importante à ses
commissionnaires dans cette perspective :
« […] vous êtes chargés de nos recouvrements et intérêts, que vous ne
fassiez de livraisons qu'après renseignements. »[59]
« […] apporter votre concours à Mertens qui n'est pas aussi bien placé
que vous pour approfondir et rechercher les renseignements indispensables aux
affaires. »[60]
Prendre des renseignements sur les clients fait partie
intégrante de leur rôle : comme le précise H. Vasnier, la Maison tient à les
rendre « moralement responsables des
placements »[61], s’appuyant sur leur
position privilégiée dans le milieu des affaires. Elle cherche ainsi à
développer une complémentarité entre les démarches de ses intermédiaires,
représentants/agents et commissionnaires, de façon à opérer un double filtrage
de la clientèle : chacun de ces intermédiaires est ainsi le garant de ses
intérêts. Il nous faut alors souligner le rôle éminent des commissionnaires
dans le cas de la maison Pommery. Il aurait été intéressant d'avoir des
éléments de référence, qui nous auraient permis de voir si d'autres maisons
recourent aux services de ce type d'intermédiaire et si ceux-ci ont les mêmes
attributions.
Par
sa présence permanente sur une place ou un marché, un représentant occupe une
position d'interface ; il gère les relations entre la Maison et ses clients. Il
reçoit les consignes de la Maison, qu'il s'agisse de sa politique commerciale
ou de ses droits à faire valoir. C'est le cas par exemple des prix qu’il doit
absolument respecter[62]. Il
doit résister aux exigences des clients, qui se plaignent des prix et cherchent
à obtenir des réductions. Cette situation est exacerbée lors d’une augmentation
des prix, dont nous avons deux exemples au cours de notre période d’étude. Le
rôle des représentants est alors particulièrement délicat, car il leur revient
de la faire accepter par les clients. La Maison tient d’ailleurs, dans cette
optique, à ce qu’ils les préviennent de vive voix, au cours d’une visite, de
sorte que cette augmentation soit moins brutale[63].
Il est essentiel que la Maison puisse assurer un
dialogue avec ses clients. Il ne s'agit pas seulement de faire accepter sa
politique, mais également d'aplanir les tensions qui peuvent exister, et dont
les représentants se font l'écho. Le champagne étant un produit fragile, les
plaintes de clients concernant la qualité du vin, ou des bouteilles
défectueuses, ne sont pas rares. Dans tous les cas, elle se doit d'apporter une
réponse à ces réclamations, le plus souvent en remplaçant le vin[64]. Il
s’agit là d’un domaine critique car l’image de la Maison se joue aussi dans ce
"service après-vente", dans cette capacité à répondre aux plaintes
des clients. Il lui faut ne pas indisposer un client, qui pourrait délaisser la
marque ou lui faire une mauvaise publicité[65]. Du
reste, le prix du vin intègre ce service. Là encore, ce "service
après-vente" mobilise ses différents intermédiaires, représentants et
commissionnaires intervenant tous deux dans ce sens.
Il existe un autre domaine qui provoque des tensions
avec les clients et où l'intervention de ses représentants se révèle décisive :
ce sont les problèmes de recouvrement des créances, qui occupent une large
place dans la correspondance. Le recouvrement peut être opéré, nous l’avons vu,
par des commissionnaires. Les représentants interviennent quand le paiement n'a
pas été effectué, que des clients ont laissé revenir des créances non signées
ou ont protesté des effets. Ils sont chargés alors de se renseigner sur les
motifs de ce refus et de trouver un arrangement avant que la Maison ne recoure
à des moyens plus expéditifs. Si besoin est, ils s'occupent de la poursuite des
clients qui ne se sont pas acquittés de leurs dettes : la Maison leur envoie
alors des "pouvoirs" qui leur permettent d'agir en son nom, notamment
en choisissant un huissier[66]. Par
la suite, ils ont pour obligation de suivre ces « mauvaises affaires »[67]. Quand la Maison
ne dispose pas de commissionnaire, ce sont les représentants qui généralement
sont chargés de faire rentrer mandats et factures[68].
C’est vrai des représentants, mais également des voyageurs[69].
Par leur position, les représentants sont en contact
direct avec la perception que le marché, les clients ont de la marque et dont ils
peuvent se faire régulièrement l'écho. C’est notamment le cas des plaintes des
clients. Cette perception est évidemment capitale pour la Maison, car elle
constitue un indicateur, de la qualité du vin ou des changements éventuels à
apporter[70]. La Maison attend
également de ses représentants qu'ils la renseignent sur l'état des affaires
sur leur marché : le contexte économique[71] - mais également et surtout les évolutions du goût :
« […] seulement c'est au Représentant intelligent de nous signaler que
dans telle ou telle ville la clientèle demande des vins plus secs, car ce n'est
pas nous qui pouvons le deviner à une si grande distance, si le voyageur ne
nous en souffle pas mot […] Il est donc regrettable que vous ne vous soyez pas
informé du goût croissant de certains buveurs allemands pour des vins moins
siroteux, et surtout que vous n'ayez pas su nous en informer en temps
convenable.»[72]
Cette exigence s'explique avant tout par la diversité
des goûts, y compris à l'intérieur d'un marché. Comme tout produit en rapport
avec le goût, le champagne est de plus soumis à des modes, que les clients
adoptent plus ou moins rapidement et qui assurent le succès de telle ou telle
marque[73]. Si
la Maison tient à ce que ses représentants soient attentifs à toutes ces
évolutions, c'est que l'adaptation aux exigences des consommateurs est un atout
essentiel dans un négoce aussi concurrentiel. L’échec qu’a connu la Maison en
prônant un vin sec sur le marché allemand, à la fin des années 1850 et au début
des années 1860, vient souligner les contraintes du marché, qui ont vite rendu
cette politique intenable[74]. A.
Hubinet se fait l'écho de cette adaptation nécessaire, évoquant le rôle des
représentants dans cette perspective : «
le grand point, sur tous les marchés, est de suivre la clientèle»[75]. C'est le
meilleur moyen en effet de ne pas se laisser distancer par la concurrence[76].
Le représentant joue un rôle d'autant plus essentiel
que les exigences des consommateurs ne se rapportent pas qu'au dosage, mais
également à l'habillage ou au marquage du vin. Il ne s’agit pas là de détails
insignifiants ; tous ces détails peuvent faire l’objet de réactions très vives[77]. Ils
se révèlent décisifs dans un négoce où il est « affaire de goût », comme le fait remarquer H. Vasnier
exemple à l’appui :
« […] cette étiquette qui a fait fureur encore dernièrement à
Valparaiso peut très bien être cause d’un fiasco complet dans un autre
pays. » [78]
Il serait possible de multiplier à l'envi ces
exemples, qui soulignent la nécessité d’une segmentation très fine du produit
pour répondre au mieux aux besoins et exigences des clients : couleur des
étiquettes et des lettres, armoiries ou étiquettes vierges, marque au bouchon
ou non... Dans ce contexte, ses représentants, par leur connaissance d'un
marché, sont des interlocuteurs privilégiés - a fortiori sur des places que la Maison ne connaît
pas[79] -, les véritables ressorts de sa capacité d'adaptation.
Quand besoin est, elle s'en remet entièrement à leur avis au sujet de ces
détails concernant l'habillage ou la présentation :
« [...] Pour la Saxe, on peut mettre des étiquettes aux armes de Prusse […] ou on peut comme pour
l'Autriche-Hongrie mettre des étiquettes sans armoiries, c’est à vous de
décider attendu que vous savez mieux que nous ce qui convient au goût du
consommateur et du pays où l’on expédie. »[80]
Nous retrouvons la même argumentation dans plusieurs
cas : la position que ses représentants occupent en fait les meilleurs juges
des adaptations à apporter[81].
Précisons que ces exemples de consultation concernent avant tout des agents.
Ces exemples illustrent en tout cas la volonté de la Maison de s'adapter au
plus juste aux exigences des consommateurs, consciente qu'il s'agit là du
meilleur moyen d’assurer le développement de la marque. Précisons cependant que
cette volonté d’adaptation est conjoncturelle. A la fin des années 1870, la
maison Pommery attend de ses représentants qu’ils résistent aux exigences des
consommateurs, et qu’ils fassent au contraire prévaloir la marque.
La
Maison attend de ses représentants, nous l'avons vu, qu'ils accroissent sa
clientèle. Pour ce faire, il leur faut assurer la promotion de la marque. Ils
doivent non seulement en faire connaître le nom, mais également le produit
lui-même. Ce travail est capital car il conditionne en grande partie sa
notoriété de la marque, dont il n’est pas possible de nier le rôle dans le
négoce en général, et dans le négoce du champagne en particulier : elle
constitue un préalable au développement des ventes. Il revient donc aux
représentants de mettre tous les moyens en œuvre pour « répandre la marque ». Pour ce faire, ils disposent de plusieurs
moyens, à commencer par la "réclame" qui recouvre insertion
d’annonces dans les journaux, circulaires et cartes de prix, où sont notifiés
les désignations et prix des différentes qualités de vin vendues par la maison
Pommery :
« [...] circulaires, réclames ou publications dans les journaux
d’Espagne, cela vous aidera puissamment à répandre la marque. »[82]
Si les circulaires sont employées
depuis longtemps déjà, l’insertion d’annonces dans les journaux n'a dû
apparaître que depuis peu. Précisons cependant que l’intérêt pour ce média - dans l’optique de faire connaître la marque ou de
jouer sur son image - ne cesse de s’affirmer au cours de notre période. La Maison confie le
soin à ses représentants de choisir le(s) mode(s) de réclame qu'ils veulent
utiliser, comme le montre l'extrait précédent. En revanche, elle prend en
charge une partie de ces frais, ce qui au passage met en évidence l'importance
de cette "réclame" à ses yeux pour le développement de ses affaires[83].
Elle prend d'ailleurs elle-même, à la fin des années 1850 et dans les années
1860, l'initiative d'envoyer des circulaires, destinées aux notabilités de
certains marchés, dans cette perspective.
Cette
"réclame" ne suffit bien évidemment pas à promouvoir une marque de
vins, car, comme le précise H. Vasnier, il faut en faire apprécier le goût :
« […] Il faudrait aussi que vous saisissiez toutes les occasions
possibles de faire apprécier nos vins car dans notre partie il ne suffit pas
d'entendre parler et de parler d'un vin, il faut le faire aimer, c'est-à-dire
le faire boire et en propager le goût. Il faut répandre la marque et la pousser
sans cesse, autrement on perd son temps, c'est le seul, l'unique moyen de
réussir.»[84]
La
dégustation est en effet une arme spécifique au négoce des vins, que les
représentants doivent utiliser pour faire connaître une marque. Elle s'effectue
au cours de leurs démarches, notamment chez des négociants ou au cours de
dîners dans des restaurants. Il s’agit d’un moment important, auquel assistent
généralement des clients, des négociants et éventuellement les représentants
d’autres maisons, et pendant lequel le vin est dégusté et comparé avec une ou
plusieurs autres marques – généralement celles auxquelles un négociant ou un
restaurateur est attaché. La dégustation permet alors non seulement de
recueillir des ordres, mais surtout de faire connaître la marque dans un milieu
susceptible d’aider au développement des affaires[85].
Leur enjeu explique que la Maison tient à ce que ses vins « soient bus avec tout leur mérite »[86]. Dans cette
optique, elle fournit à ses représentants un certain nombre d'échantillons de
ses différentes qualités de vin, dont ils doivent faire le meilleur usage.
Il nous faut enfin souligner
l’importance des "relations" à s’attacher. Par "relation", il faut entendre
une personne acquise à la marque et disposée à la pousser, à en assurer la promotion à son
échelle. H. Vasnier, dans la correspondance envoyée à Poidevin fils, voyageur
de la Maison, n’a de cesse de lui répéter l’importance de se créer un
"capital relationnel"[87] :
« [...]
dans la vie de voyageur on est
obligé de faire et rendre quelques politesses, le talent est de ne faire ces
dépenses d’extra qu’à bon escient avec des gens qui sont de bons clients ou
susceptibles de le devenir ou même […] de vous recommander et prôner partout.
Il y a des gens influents qui souvent font tout le succès d’une marque […]
c’est au voyageur de les distinguer. »[88]
Ces extraits mettent en évidence le rôle que peuvent
jouer ces relations, qui nous fait parler de "capital relationnel".
Il s'agit en effet d'une véritable ressource pour la Maison, en ce sens que ces
relations assurent la promotion de la marque. Elles doivent être, comme le
précise H. Vasnier, choisies pour l’influence qu’elles peuvent exercer sur la
vogue d’une marque. Dans sa correspondance, A. Hubinet fait référence à ces
personnes qu'il convient de s'attacher pour assurer le développement de la
marque[89].
Pour preuve de leur importance, il convient de signaler également que ce
"capital relationnel" intervient comme un critère dans le recrutement
de certains représentants, ce qui montre qu’il est perçu comme un élément
devant permettre leur réussite. Alors que les recommandations jouent un rôle
non négligeable dans l'extension des affaires, ces relations sont autant de
portes ouvertes dans les couches aisées ou influentes, notamment parmi les
principaux négociants d’une place[90].
Au
cours de ces démarches, la Maison attend de ses représentant qu'ils se fassent
l'écho de la qualité de la marque[91].
Aussi entend-elle qu'ils soient eux-mêmes pénétrés de la valeur du produit
qu'ils vendent :
« […] pour voir nos
établissements, nos ressources vinicoles et surtout pour que vous puissiez vous
faire une idée du travail des vins pour combattre la concurrence et faire
valoir nos produits. »[92]
Il
y a derrière cette invitation - lancée sans doute à la plupart des représentants - la volonté de leur faire prendre conscience de ce que
représente la marque, et d’en faire des relais convainquants de sa qualité. A
un de ses représentants qui doute de cette qualité, elle envoie de nouveaux
échantillons pour qu'il les déguste et qu’il se convainque que les vins de la
marque «sont toujours des produits
excellents, susceptibles de soutenir avec avantage n’importe quelle comparaison
avec ceux de [ses] concurrents»[93]. C'est également
dans cette optique qu'elle exige de ses représentants qu'ils ne s’occupent que
de la marque Pommery[94].
Cette exigence se comprend dans la mesure où ils ont la charge de la promouvoir
face à une concurrence active. H. Vasnier le souligne dans une lettre adressée
à un représentant, confronté à des rumeurs circulant sur la qualité de la
marque, rumeurs vraisemblablement propagées par des représentants concurrents :
« […] En résumé, tous ces dires ne prouvent rien, ils existent
toujours, tant qu’il y a concurrence, c’est-à-dire lutte. N’espérez pas que les
voyageurs et les représentants de nos adversaires s’amusent à chanter les
louanges de la maison Pommery, ils cherchent tout au contraire à nous démolir,
c’est à vous, si vous le pouvez, d’en faire autant à leur égard ! »[95]
Ce passage illustre parfaitement ce
qu’implique la promotion du vin de la Maison dans un négoce aussi concurrentiel
que celui du champagne. Le lexique de la "bataille" ("lutte", "adversaires",
"démolir") renvoie à cette réalité, à cette lutte que se
livrent maisons et représentants. Cette image n’est pas ponctuelle ; elle se
retrouve de manière constante dans toute la correspondance envoyée aux
représentants. Les critiques concernant la concurrence - ses pratiques, la qualité de ses vins - sont monnaie courante. Il convient d'être très
prudent dans leur interprétation car elles ont sans doute vocation à trouver
une résonance auprès des clients et il s'y mêlent vérité et volonté de
discréditer les autres marques. La Maison elle-même a été confrontée à plusieurs
reprises aux attaques de représentants de maisons concurrentes, qui profitent
des moindres occasions pour essayer de discréditer la marque[96].
L’image de la marque est indissociable
de la personne même des représentants et des démarches qu’ils effectuent pour
la promouvoir. L'importance de cette relation, et du travail qu’ils effectuent,
met en évidence l'intérêt de bien les choisir. Avoir un représentant présente
en effet un risque pour la Maison car celui-ci peut faire beaucoup de tort à
l'image de la marque, une confusion s’opérant généralement entre une marque et
son représentant. Les frasques de Poidevin fils, voyageur de la Maison à la fin
des années 1850 et au début des années 1860, viennent illustrer ce risque :
« [...] Nous avions pour voyageur un M. Poidevin qui avait
laissé des dettes partout [...] polisson de voyageur que nous avons mis à
la porte de notre Maison... »[97]
Certaines remarques de H. Vasnier
prouvent combien le fait d’avoir des dettes est très mal considéré à l’époque[98]. En
l’occurrence, H. Vasnier est obligé d’entreprendre une tournée en Belgique et
en Hollande pour pallier l’image laissée par les frasques de ce voyageur[99]. La
Maison est également amenée à se séparer d'un représentant qui a été condamné
pour dettes, tout en espérant que cela se sache le moins possible dans la
clientèle, de façon à éviter que cela ne discrédite la marque[100].
Même si la qualité du vin n’est pas en question, il ne fait pas de doute que
l’image de la marque en pâtit. Le poids d’un représentant - et plus particulièrement encore celui d’un agent - dans le développement des affaires et dans la gestion
de l’image de marque contraint la Maison à rechercher toutes les garanties sur
les qualités d’un candidat. Le recrutement est un moment clé, où il lui faut
s’assurer de la confiance qu’elle peut accorder à son représentant, cette
confiance étant indispensable à la régularité de leurs relations[101].
L’exemple du recrutement de A. Hubinet nous éclaire à ce sujet. La Maison
cherche tout d’abord de connaître ses « aptitudes
commerciales », ce qui se comprend au regard des démarches qu’il doit
entreprendre pour s’occuper de ses affaires : elle doit pouvoir compter sur un
travail sérieux et rigoureux de la part de son représentant[102]. Mais elle tient également à s’assurer
de sa « moralité », gage de
son honnêteté à son égard et de son honorabilité aux yeux des clients[103].
Cette présentation, à valeur générale,
met en évidence l’importance du rôle que ces intermédiaires ont à tenir dans le
développement des affaires de la Maison - notamment dans le contexte d’un négoce fortement
concurrentiel. Nous sommes loin de l’image d’un représentant qui se limiterait
à un simple "preneur d’ordres" ; leur position en fait au contraire
des relais indispensables entre la maison Pommery et ses marchés. Deux figures
émergent particulièrement, sans doute avec l’expansion du négoce : il s’agit
des "commissionnaires-entrepositaires" - chargés de conserver une partie des vins en dépôts,
mais surtout des recouvrements et des intérêts commerciaux de la Maison - et des agents qui jouent également un rôle de garant
des intérêts de la Maison, tant pour l’extension de ses affaires que pour le
développement de la marque.
[1] Soulignons que ces intermédiaires ne sont cependant pas spécifiques au négoce du champagne.
[2] La ligne entre Epernay et Paris est inaugurée en 1849, celle entre Epernay et Reims en 1854. L’ouverture de ces lignes a sans doute joué un grand rôle dans la croissance du négoce, en favorisant les expéditions, notamment en rapidité et en quantité.
[3] Lettre adressée à Royer datée du 2 février 1860 (27, 447) : ce représentant a averti la Maison qu’un client a laissé le vin pour compte. Elle précise que ce refus « est un des accidents inhérents à notre partie ».
[4] Une "recouleuse", ou "couleuse", est une bouteille qui laisse échapper du vin et du gaz, notamment quand elle est mal bouchée ou avec un bouchon de mauvaise qualité.
[5] Lettre adressée à Marguier datée du 9 août 1859 (23, 269) : « […] causé par l’inexactitude proverbiale de l’administration du chemin de fer. Tous les jours, nous recevons des plaintes de ce genre. »
[6] Lettre adressée à Marguier
datée de 1859 (358, 471) : « […] ces
retards [dans les livraisons des chemins de fer] sont désolants, et nous font
un mal immense sans que nous puissions trouver réparation. »
[7] Dans ce dernier cas, ces avis précisent le détail des caisses, leur poids, le nombre de bouteilles pour chaque sorte de vins, le nom et l’adresse des différents clients (éventuellement leur profession), les frais à réclamer (si l’envoi est facturé franco tout ou contre remboursement des frais). Tous ces détails sont sans doute censés minimiser les erreurs de livraison et éviter les plaintes des clients.
[8] Le champagne étant un produit fragile, il ne peut en effet être transporté en période de froid intense, sous peine de voir le vin geler, ni même en période de forte chaleur qui augmente le risque de couleuses.
[9] La maison Pommery rappelle régulièrement à ses agents la nécessité d’écouler les vins plus vieux du dépôt, pour éviter de voir se multiplier les plaintes de clients concernant des "couleuses".
[10] Cette condition est explicitement stipulée dans les conventions passées avec ses représentants.
[11] Il s’agit là d’une formule rituelle employée chaque fois que la Maison leur envoie ces valeurs.
[12] Lettres adressées à Overklift datée du 27 avril 1860 (29, 340) , à L. Mertens datée de septembre 1859 (358, 310)
[13] C'est le cas par exemple en Angleterre où le Bureau s'occupe du dépôt et de la réexpédition des vins ; en revanche, le recouvrement est confié à la maison Glyn, Mills & C°. Cette dissociation se retrouve également au Luxembourg où les vins sont livrés directement de Reims par un commissionnaire en transport, mais les recouvrements sont opérés par la maison Krewinckel de Luxembourg à partir de 1860.
[14] Lettre adressée à Krewinckel datée du 27 mars 1860 (29, 24) : « […] Tous nos mandats que nous créons sur nos clients portent la mention sans frais, motif de refus, c'est vous dire que ce genre de recouvrement, auquel vous n'êtes probablement pas étranger, demande quelques ménagements vis-à-vis des tirés, nos clients qui parfois ne sont pas disposés à payer instantanément et qui obligent nos banquiers à revenir plusieurs fois à la charge. »
[15] Lettre adressée à Mohr datée d’octobre/novembre 1859 (25, 198)
[16] Lettre adressée à Bindtner datée du 1er juillet 1879 (122, 53) : « […] nous espérons que vous faciliterez à M. Fischer, autant que cela vous sera possible, ses relations avec notre clientèle…». En l'occurrence, la Maison attend de son commissionnaire qu'il aide son agent et qu'il serve de relais avec la clientèle.
[17] Ainsi, la maison Pommery est encore en contact avec les maisons Penners de Cologne et Moentack de Bruges en 1879, et avec la maison Lenersan de Rotterdam en 1894. Elle s'est attachée les services de ces maisons dans la deuxième moitié des années 1850. Des changements sont bien évidemment intervenus à la tête de ces maisons, mais la confiance que la maison Pommery leur accorde n'est pas remise en cause pour autant. Il y un réel attachement à ces intermédiaires conforté par la durée de leurs relations, de sorte qu'elle s'arrange pour ne pas avoir à s'en séparer. L’exemple de la maison Lenersan vient confirmer ce propos. Cette maison a un temps eu l’Agence des Pays-Bas. Elle est remplacée par De Groot, « qui ne veut pasqu’un autre qure lui ait le dépôt de Rotterdam, ni qu’un autre que lui soit chargé des recouvrements sur son terrain ». A. Hubinet a toutefois promis de leur laisser « une fiche de consolation en leur continuant le dépôt et les recouvrements ». (C.C.H., p.186-187 - lettre datée du 24 juillet 1884)
[18] Lettre adressée à Zein & C° datée du 12 février 1879 (119, 69) : « […] Nous ne demandons pas mieux que de faire encaisser nos traites par une maisons de banque à Varsovie lorsque le chiffre des affaires sera devenu assez important dans votre contrée. »
[19] Lettre adressée à G. Van Loo datée du 30 novembre 1859 (26, 128) - Dans cette lettre, H. Vasnier évoque la situation de Delvaux, négociant belge, vis-à-vis de la Maison : « […] il n’a aucun droit de s’appeler notre représentant et ne peut revendre comme Messieurs […] que pour son propre compte et à ses risques et périls.» Le fait d’être représentant d’une maison apparaît ici comme une sorte de titre, parfois usurpé - Voir également lettres adressées à Poidevin fils datée du 17 janvier 1860 (27, 193), à Schmölder datée du 13 mai 1865 (48, 180), à Schauer datée du 15 mai 1865 (48, 184)
[20] Cette commission varie généralement entre 5 et 15%.
[21] Lettre adressée à de
Joncker datée du 3 avril 1865 (48, 40) : «
[…] M. Van Loo qui ne reçoit comme vous qu’une commission fixe, susceptible
d’augmentation à la fin de l’année quand il atteint un chiffre de…»
[22] Lettre adressée à Poidevin père datée du 1er février 1860 (27, 411)
[23] Deux lettres adressées à N. Greno illustre ce dernier cas - Voir lettres datées du 14 juin (45, 146 : la Maison demande des renseignements sur l’honorabilité et les moyens de Dauphin, qui a fait des offres de service) et du 30 juin 1864 (45, 231 : elle lui demande si Bougon, qui lui a fait des offres pour Vervins, est « travailleur et actif »)
[24] Poidevin père représente une maison de vins de Bourgogne, Royer une maison de vins de Bordeaux. A la tête du dépôt de Paris, J. Wallon s’occupe également du placement des vins de Poidevin père (lettre adressée à Poidevin père datée du 1er février 1860 - 27, 411) et de ceux de Royer (lettre adressée à Royer datée d’avril 1860 - 29, 65). A. Hubinet représente une maison de vins de Cognac, la maison Courvoisier (lettre du 20 mai 1863 - 378, 427) , et une maison de vins de Bordeaux.
[25] C’est ce que nous indiquent certaines lettres d’accord concernant la représentation que nous avons trouvées dans la correspondance. Voir lettre adressée à Lepec datée du 13 janvier 1865 (47, 130: « […] vous comprenez cependant que nous ne pouvons donner notre représentation qu'à une personne qui, appréciant notre marque à sa juste valeur, saura la faire valoir et ne recommandera qu'elle.») - Cette condition vaut à plus forte raison pour ses agents (C.C.H., p.5 - lettre de la Maison datée du 30 janvier 1861)
[26] Ce cas de figure ne se présente que sur le marché suisse, qu'il s'agisse de la maison Dupont-Chevron (lettre datée du 2 mars 1872 - 81, 34) ou, par la suite, de la maison Navazza (lettre datée du 8 juin 1872 - 121, 377 : « […] des relations que vous ne pouviez amener puisque vous vous occupiez déjà de la représentation ou de la vente de plusieurs des plus importantes marques de la Champagne.»). Cela semble indiquer que la maison Pommery ne fait pas de ce marché une priorité.
[27] Etienne M., op. cit., pp.146 et 148
[28] Fohlen C., Méquillet-Noblot :une affaire de famille au XIXème siècle : l’auteur distingue une « ère des voyageurs de commerce », à partir de la seconde moitié du siècle.
[29] H.M.P., p.15 -
lettre adressée à Poidevin fils datée du 15 juillet 1861 : « […] Chaque journée sans commande nous coûte 25 francs de frais de
voyage plus vos appointements. Ne perdez jamais cela de vue et vous saurez
facilement , par une simple addition à la fin de votre journée si vous avez
couvert vos frais et devez être content de vous. […] Rien que pour couvrir vos
frais, vous devez donc, avec ce que vous touchez, vendre une cinquantaine de
bouteilles par jour. Quand vous n’arrivez pas à ce chiffre, nous sommes en
perte.»
[30] Lettres adressées à Decaudin (mars 1860 - 28, 495) et à C. Graef (mai 1873 - 387, 246)
[31] Lettres adressées à Pomès (octobre 1859 - 25, 201) et à P. Arrivé (29 juin 1859 - 23, 76)
[32] Notre analyse rejoint ici celle de M. Etienne (pp.140-141). Le recours à cet intermédiaire a pu correspondre, selon lui, à un effort de simplification dans la gestion, à une recherche de la sécurité dans les transactions combinée avec la conquête de nouveaux clients. Mais il se justifie également par le caractère irrégulier de la demande.
[33] C.C.H., p.106 (lettre de
A. Hubinet adressée à Bourgais datée du 23 mars 1878) : « […] Une fois cela fait, nous pourrons vous faire une autre
consignation aussitôt l'ouverture de la navigation, mais il faudra que la
Maison y retrouve 6 frs nets par bouteille prise dans les caves […] pourvu que
vous garantissiez les ventes que vous feriez aux particuliers, aux hôteliers et
aux restaurateurs. »
[34] Lettre adressée à Barthélémy datée de février 1873 (387, 189)
[35] Tous les représentants se voient confier, à un degré ou à un autre, les intérêts commerciaux de la Maison, ce qui apparaît notamment dans les problèmes de recouvrement. En revanche, les représentants, à la différence des agents, n'ont vraisemblablement pas le pouvoir d'agir au nom de la Maison en cas de poursuites judiciaires, que ces poursuites soient relatives aux mauvais payeurs ou à la protection de la marque par exemple.
[36] C.C.H., p.8 - lettre de A. Kniep & C° adressée à la Maison datée du 11 mars 1861
[37] C’est le cas de J. Wallon par exemple (et peut-être de Marguier avant lui) qui a été à la tête du Bureau de Paris, mais duquel la Maison s’est séparé faute de résultats. Il opère toujours comme représentant et touche une commission sur les placements qu’il effectue sur son compte en 1864/1865.
[38] Si la maison Pommery reçoit des offres de services concernant le champ d'action d'un de ses agents, elle les lui envoie, à charge pour lui d'y répondre. Voir lettre adressée à Poidevin père datée du 24 juillet 1872 (83, 269) : « […] nous avons transmis votre amicale à notre Agent Général à Berlin [L. Mertens], comme il nous représente pour toute l’Allemagne, lui seul a autorité pour traiter de sous-agents, néanmoins nous lui recommanderont M. Rampacker. » - De manière générale, la Maisoin n’entretient pas de rapports avec des sous-agents, même si elle contribue en partie à en payer les frais. C’est le cas avec le marché anglais par exemple, où A. Hubinet utilise les services de Osborn en Angleterre (C.C.H., p.34 : lettre datée du 16 janvier 1863 - C.C.H., p.53 : lettre datée du 1er octobre 1865), et de Morgan en Irlande (C.C.H., pp. 45-46 : lettre datée du 9 août 1863 - C.C.H., p.48 : lettre datée du 29 janvier 1864). Or nous ne trouvons pas de trace de correspondance envoyée par la Maison à ces personnes.
[39] C’est le cas sur le marché belge où elle doit demander l’autorisation à Van Loo pour travailler Liège et sa province - Voir lettres adressées à G. Van Loo datée du 8 octobre 1864 (46, 174) et à N. Greno datée du 29 décembre 1864 (47, 57)
[40] Il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux comptes de provision, dont les références sont indiquées en annexe.
[41] H. Vasnier, dans la lettre où il expose à A. Hubinet les conditions qui lui sont faites, le qualifie de "représentant", alors qu’il a vraisemblablement obtenu l’agence de la Maison.
[42] Ces deux aspects sont ici dissociés dans leur étude par commodité et par souci de clarté.
[43] Lettres adressées à Poidevin fils, datée du 27 juillet 1859 (23, 351), à A. Delvaux datée de novembre 1879 (124, 249)
[44] Lettre adressée à Marguier datée du 28 mars 1860 (29, 31) - Voir également lettre adressée à A. Kniep & C° (23, 491) : « […] nous comptions sur votre zèle pour visiter les clients et en acquérir d’autres. »
[45] Lettres adressées à L. Mertens datées du 18 juin 1859 (22, 423 : « […] toujours voir la clientèle et la bien disposer pour la marque afin que si la paix revenait nous puisions profiter avantageusement de la reprise. ») et du 29 août 1859 (358, 168) - Voir également lettre adressée à Gargam datée du 28 avril 1860 (29, 353): Mme Pommery lui écrit qu’elle compte sur lui pour « entretenir le feu sacré chez les clients »
[46] Lettres adressées à Poidevin fils datée de septembre 1859 (358, 313 : H. Vasnier lui demande de « visiter la clientèle qui a besoin d’être réchauffée »), à G. Van Loo (26, 22 : « [...] Avez-vous revu la clientèle particulière de M. Greno ? Elle est pourtant nombreuse […] qu’en la sollicitant on aurait des commandes... »)
[47] Ce terme de "recrutement" est également employée par M. Etienne, dans son ouvrage sur la maison Clicquot. Le chapitre VI s’intitule : Le recrutement de la clientèle.
[48] N. Greno décrit, avec sa verve habituelle, un de ces dîners, où à la faveur d’une dégustation, il arrive à décrocher un ordre important. (H.M.P., pp.16-18)
[49] F. Bonal, rapporte le portrait d'un représentant parisien, par un contemporain, qui évoque cette spécificité - cf. Mumm, un champagne dans l’histoire, p.66
[50] Lettre adressée à Marguier datée du 28 mars 1860 (29, 31)
[51] Cf. chapitre I : Un négoce extrêmement concurrentiel
[52] A cet égard, le marché hollandais semble révélateur. N. Greno y a eu un grand succès en tant que voyageur dans les années 1850. Durant les années 1860, la Maison n’a travaillé ce marché que par le biais de voyageurs. Lorsque N. Greno y fait un nouveau voyage en 1870, la marque y est délaissée au profit de "cet infernal Moët". (H.M.P., p.47-48)
[53] C.C.H., pp. 5-6 (lettre du 30 janvier 1861)
[54] Les démarches entreprises pour le bon recouvrement des créances ont évidemment un coût - non seulement financier, mais également en temps - difficile à supporter pour la Maison.
[55] Etienne M., Veuve Clicquot P., op. cit., pp.175-201 : l’auteur se livre, au cours de ces pages, à une analyse de la gestion et des résultats financiers de la maison. Il met en évidence les contraintes financières qui pèsent sur une maison de champagne, liées notamment à l’immobilisation de stocks importants. Il est possible également de se reporter à l’ouvrage de J.P. Devroey concernant la maison Perrier-Jouët, p.52.
[56] Lettre adressée à L. Mertens datée de septembre 1859 (358, 310) : « […] Nous tenons avant tout à la qualité de vos ventes avant d'en examiner la quantité, choisissez vos clients, ne vendez qu'à bonne enseigne, vous arriverez plus lentement, mais du moins beaucoup plus sûrement. ». Il est également possible de se reporter, parmi tant d'autres, aux lettres suivantes : lettres adressées à L. Mertens datées du 22 février 1860 (28, 160) et du 31 mars 1860 (29, 56) – lettre adressée à G. Van Loo datée du 21 décembre 1859 (26, 288) – lettres adressées à Penners datées du 11 février 1860 (28, 130) et du 23 février 1860 (28, 170) – lettre adressée à Decaudin datée du 29 décembre 1859 (26, 468)
[57] C.C.H., p.5 - lettre datée du 30 janvier 1861 : « […] Pour les ventes dont le paiement intégral ne pourra être effectué, votre commission sera supprimée, et vous devrez néanmoins prêter vos soins à la liquidation de ces mauvaises créances. ». Nul doute, à la lumière de ces exigences draconiennes, que la Maison tient à assurer la solidité de ses affaires.
[58] Etienne M., Veuve Clicquot Ponsardin : aux origines d'un grand vin de Champagne, pp. 152-156
[59] Lettre adressée à Detige-Beuret datée du 17 décembre 1859 (26, 354) : cette extrait fait suite aux reproches de la Maison à l'égard de son commissionnaire qui a fait une livraison à un client en faillite.
[60] Lettre adressée à Penners datée du 11 février 1860 (28, 130)
[61] Lettre adressée à Mohr datée d’octobre/novembre 1859 (25, 198)
[62] Lettre adressée à Sergeant datée du 9 mars 1872 (81, 101) : « […] Notre vin et notre prix plaisent ou pas, c'est l'affaire du représentant de faire apprécier l'un et adopter l'autre. »
[63] Lettre adressée à Bonnier datée du 1er octobre 1872 (84, 293) : « […] Veuillez donc prévenir votre clientèle de vive voix et non par circulaire, ce mode étant croyons-nous moins brutal. ». Dès septembre 1872, la Maison lui demande de « prépare[r] les esprits à cette tuile » (lettre datée du 13 septembre 1872 - 84, 114).
[64] Lettre adressée à A. Kniep & C° datée du 28 novembre 1859 (26, 77) : la Maison assume les risques liées aux bouteilles recouleuses, même si sa responsabilité n’est pas engagée (« […] du moment que nous consentons à remplacer les vins, nous faisons acte de bon vouloir et de loyauté. »). Un des principaux motifs de plainte à l’époque concerne le goût de bouchon, problème que la Maison éprouve des difficultés à résoudre.
[65] Lettre adressée à A. Kniep & C° datée du 21 janvier 1860 (27, 233) : la Maison demande à son agent de trouver un arrangement avec Herrman au sujet de vins dont il ne veut plus, mais surtout d’« évite[r] de le contrarier car [elle tient] à rester en excellents termes avec lui » - Lettre adressée à G. Van Loo datée de septembre 1859 (358, 252) : « […] nous avons remplacé les 80 bouteilles à M. qui peut maintenant vous remettre une belle commande. »
[66] Lettres adressées à J. Wallon datées de août 1859 (24, 43) et du 7 novembre 1859 (25, 342 : la Maison signale l’envoi d’un pouvoir en blanc qui l’autorise agir au nom de la Maison pour des poursuites de créanciers) - Lettres adressées à Van Loo datées des 25 mai (45, 69) et 2 juin 1859 (45, 118)
[67] Lettre adressée à G. Van Loo datée de août 1859 (358, 159) : dans cette lettre, la Maison demande à son agent de suivre les affaires qui sont au mains d’un huissier.
[68] Lettres adressées à J. Wallon datées de août 1859 (23, 390 et 358,43)
[69] La Maison profite de leurs tournées pour leur confier des tâches de recouvrement. Voir lettres adressées à Poidevin père datées du 21 septembre 1864 (46, 108), à Barthélémy datée du 13 novembre 1872 (non répertorié, 276), à Bipper datée du 24 janvier 1873 (non répertorié, 391)
[70] Lettre adressée à G. Van Loo datée de septembre 1859 (358, 252) : « Aussitôt que vous nous avez dit d’arrêter le goudronnage du Crémant, nous l’avons fait. »
[71] La Maison s'enquiert particulièrement de l'état des affaires quand les ventes de son représentant ne lui semblent pas brillantes. Il s'agit sans doute de mesurer ses résultats, et ses capacités, à l'aune de ce contexte.
[72] Lettre adressée à Jüncke datée du 3 avril 1880 (127, 126)
[73] Lettre adressée à Lefébure datée du 4 novembre 1864 (46, 306) : « […] Le champagne étant surtout un objet de mode, il s’en suit que l’engouement que l’on peut avoir pour une marque ne saurait durer et malheureusement pour la réputation de toutes les marques, cette vogue passagère va, vient, s’en va pour revenir et toujours ainsi…» - Voir également lettre adressée à G. Van Loo datée du 6 avril 1860 (29, 96) : « […] Quand la vogue si éphémère commence à [décliner] ou que les consommateurs si fatigués cherchent une maison plus nouvelle… »
[74] Cf. chapitre III : La revendication d’un cachet propre - Une lettre de H. Vasnier adressée à L. Mertens évoque la contrainte qui pèse sur cette politique. Il est intéressant de remarquer le rôle joué, selon lui, par la concurrence : « […] la mauvaise disposition de vos clients, tout d’abord épris d’un amour violent pour une nouveauté [le vin sec de la marque], lequel amour a été suivi d’une réaction amenée contre ce même genre de vins par la réflexion de nos concurrents. » (lettre datée du 7 octobre 1864 - 46, 168)
[75] C.C.H., p.114 (lettre du 14 janvier 1879)
[76] Id. - il
poursuit, après l’extrait cité précédemment, en évoquant l’exemple des agents
de Roederer : « […] la Maison Roederer
est en train de se perdre partout parce que ses agents se figurent que les
alouettes ne cesseront jamais de leur tomber toutes rôties dans la bouche. »
[77] C.C.H., p.63 (lettre du 7 mai 1867) : « […] Si vous pouviez ne mettre que P.G. sur le bouchon, votre réputation y perdrait moins. »
[78] Lettre adressée à Pomès datée de octobre ou novembre 1859 (25, 201) : dans cette lettre, H. Vasnier annonce l’envoi de modèles d’étiquette, suite au jugement de Pomès qui pense que les étiquettes actuelles seront trouvées « trop tristes ».
[79] Lettre adressée à Pomès
datée d'octobre ou novembre 1859 (25, 257) : « […] Ne connaissant nullement le pays où vous faites des affaires,
nous sommes peu au courant des mœurs… »
[80] Lettre adressée à L. Mertens datée du 25 avril 1872 (81, ?). Déjà en mars, il a eu une décision du même genre à prendre concernant le mode d’emballage des vins (lettre datée du 22 mars 1872 - 81, 231)
[81] Lettre adressée à C. Graef datée du 12 mars 1872 (81, 127) : « […] que votre préférence doit, dans votre esprit, aider d’une manière certaine au succès de la vente... ». Même si la Maison trouve « regrettable » la décision de son agent américain de supprimer l’étiquette de la "Carte Blanche", elle s’incline devant sa décision.
[82] Lettre adressée à Pomès datée du 20 janvier 1860 (27, 231)
[83] Lettre adressée à Kniep & C° datée du 20 janvier 1859 (359, 339) : « […] de même que celui des circulaires, des annonces dans les journaux les plus influents, frais que nous partagerons avec vous jusqu'à concurrence de 100 £ comme il a été convenu avec M. Vasnier. »
[84] Lettre adressée à Louet Frères datée du 2 avril 1860 (29, 62)
[85] La correspondance de A. Hubinet regorge de détails concernant ces dégustations.
[86] Lettre adressée à Charron, Gellie & C° datée du 5 janvier 1865 (47, ?) : « […] or comme nous tenons à ce que nos produits soient bus avec tout leur mérite, nous préférons faire sacrifice d'une bouteille, plutôt qu'une demie, et être appréciés. ».
[87] Lettre adressée à Poidevin fils datée de septembre 1859 (358, 313)
[88] Lettre adressée à Poidevin fils datée du 24 juin 1859 (23, 17)
[89] C.C.H., p.38 (lettre datée du 12 mars 1863) : « […] Il faut que nous y soyons représentés ; nous ne pouvons l’être mieux que par Crowder qui est un homme distingué, riche, "and has an aristocratic connection". Afin de nous l’attacher définitivement, je lui ai dit que […] nous lui concéderions nos "shipping prices" les plus réduits. » - p. 48 (lettre datée du 29 janvier 1864) : « […] il est fâcheux que son premier essai n’ait pas réussi. Cet homme aurait mis avec plaisir toute son influence en jeu pour faire réussir notre marque en Irlande. »
[90] H.M.P., p.29 (lettre de N. Greno adressée à la Maison le 26 avril 1865) : « […] c’est que si vous voulez conserver la Marque [au] Grand Hôtel, [au] Louvre, [au] Café de la Paix et [au] Grand Café du Jockey Club, vous ne pouvez penser à renvoyer M. D’Arnaud. ». M. D’Arnaud, agent à Paris, est le gendre du directeur de l’Hôtel du Louvre, un des plus prestigieux de Paris. Dans l’esprit de N. Greno, ces relations constituent un «puissant levier» pour le succès de la marque à Paris. - Voir également lettres adressées à Auzon & C° datées du 14 février (47, 315) et du 19 juillet 1865 (48, 495) : bien que résidant à Hambourg, ils disposent de leurs « relations de famille pour réussir » en Hollande. Ces lettres mettent bien en évidence que, dans l’esprit de Vasnier, ces connaissances doivent assurer le succès de leurs démarches.
[91] Lettre adressée à Royer datée de septembre 1859 (358, 413) : « […] Voilà notre opinion, à vous de la partager et de la faire valoir à l'occasion. » - Lettre adressée à Kniep & C° datée du 28 juillet 1859 (23, 357): « […] engager votre acheteur à essayer nos cuvées qui lui donneront une satisfaction bien plus grande, nous en sommes convaincus. »
[92] Lettre adressée à Coullier datée de septembre 1859 (358, 302)
[93] Lettre adressée à Lefébure datée du 19 novembre 1864 (46, 361)
[94] Cf. infra : Les "représentants"
[95] Lettre adressée à Lefébure datée du 19 novembre 1864 (46, 361)
[96] Lettre adressée à L. Mertens datée du 24 janvier 1873 (386, 405) : cette lettre offre un exemple de ces tentatives de discrédit. Les chemins de fer allemands organisant une vente publique des vins de la marque - que la Maison leur a laissé pour compte suite à des retards -, L. Mertens craint qu’elle ne nuise à la réputation de la marque. Elle est en effet utilisée par des représentants de maisons concurrentes pour tenter de discréditer la marque. Même si la Maison ne se dit pas préoccupée par les « bavardages et commérages de [ses] concurrents et détracteurs », elle fait passer une annonce dans les journaux, par l’intermédiaire de son commissionnaire de Cologne, prenant ainsi en compte les inquiétudes de son agent.
[97] Lettre adressée à Floury datée du 15 juin 1864 (45, 154)
[98] Lettre adressée à A.
Hubinet datée du 8 juillet 1865 (48, 395). H. Vasnier, reprochant à son agent
de conserver des relations avec des maisons douteuses, évoque la différence de
mentalité entre la France et l4angleterre concernant les dettes : « […] en France, ils iraient au bagne […]
tout ce qu’ils méritent. »
[99] H.M.P., p.16
[100] H.M.P., pp.20-21 - lettre de Mme Pommery adressée à N. Greno datée du 20 juin 1862 : « […] a été condamné à payer des dettes qu’il avait tout d’abord niées, et ce avec menace d’emprisonnement s’il refusait […]Vous comprendrez dans ces conditions, que nous ne pouvons avoir de rapports d’affaires avec ce Monsieur [...] mais il reste bien entendu que M. Droinet ne doit plus faire aucune démarche au nom de la Maison et vous devriez tâcher qu’on sache le moins possible qu’il a été question qu’il nous représenterait… »
[101]
C.C.H., pp.1-2 (lettre du 15 janvier 1861 adressée à M. Tourton Hanley) : « […] A la recommandation de Messrs
Philipps & C° auxquels nous nous étions adressées tout d’abord, nous
venons, Monsieur, réclamer de votre obligeance des renseignements sur un de nos
compatriotes que vous avez employé quelques temps en qualité de voyageur. Il
nous serait agréable de connaître votre appréciation de ce jeune homme, tant
sur le rapport de la moralité que des capacités et aptitudes commerciales. On
nous l’a dépeint comme intelligent, nous voudrions savoir s’il est sérieux,
actif, capable et infatigable. Nous serions également bien aises de savoir s’il
vous a donné satisfaction et si vous avez remarqué en lui l’étoffe d’un homme
travailleur. Nous ferons l’usage le plus discret, Monsieur, des informations
que vous pourrez nous transmettre et vous en remerciant sincèrement à l’avance,
vous priant d’user à l’occasion de nos services si l’occasion s’en
présente. »
C.C.H., p.2 (lettre de Mme Pommery du 19 janvier 1861 adressée à A. Hubinet) : « […] nous devons vous dire que nous attendions, pour vous fixer définitivement, la réponse à toutes les lettres de renseignements que nous avions adressées, car les premières reçues ne nous ont pas toutes donné l’entière satisfaction que nous en attendions. L’une d’elle parle de votre grande légèreté dans en affaires qui pourrait compromettre les rentrées que vous feriez pour nous. Nous comptons donc sur vous, Monsieur, pour dissiper cette fâcheuse appréciation par votre application toute particulière à ne rechercher que des relations sérieuses et offrant autant de sécurité que possible. Il dépendra donc de vous d’effacer les craintes que cette confidence a pu faire naître dans notre esprit… »
[102] Lettre adressée à N. Greno datée du 9 juillet 1864 (45, 293) : H. Vasnier demande à N. Greno si M. Bougon est « travailleur et actif », deux qualités primordiales aux yeux de la Maison en des temps où il difficile de trouver des représentants valables : « […] s’il possédait ces deux qualités, nous nous en contenterons, car il est bien difficile de trouver tout ce que l’on peut désirer réuni dans un même individu. »