La "réorientation" des échanges (1858-1875)

 

 

1. Un marché spécifique
1.1. Un marché organisé
1.1.1. L’influence des "wine merchant"
1.1.2. Des contraintes propres au marché anglais
1.2. Un marché exigeant
1.2.1. Le "goût anglais"
1.2.2. Une exigence de qualité
1.3. La vision du marché anglais développée par la maison Pommery
1.3.1. Ses réactions à l’égard du "goût anglais"
1.3.2. Une certaine "anglophobie"

2. Une évolution impulsée par A. Hubinet
2.1. Les orientations définies par A. Hubinet
2.1.1. "Donner du relief à la marque"
2.1.2. Les vins secs
2.2. Des difficultés à s’adapter
2.2.1. Les reproches de A. Hubinet
2.2.2. Un  manque de moyens ?
2.3. Une percée réussie
2.3.1. La réputation acquise
2.3.2. Le rôle de A. Hubinet

 

Chapitre VI :  La percée sur le marché anglais

 

La réussite de la marque Pommery sur le marché anglais est d’autant plus remarquable à la lumière des difficultés que nous avons mises en évidence dans le chapitre précédent. La percée sur ce marché illustre concrètement nos propos précédents et les difficultés que peut rencontrer la marque, en raison notamment d’une concurrence déjà bien implantée. Cette étude particulière se justifie alors surtout en raison de cette réussite même.

 

1.                Un marché spécifique

 

1.1.         Un marché organisé

1.1.1. L’influence des "wine merchant"

 

Avant tout, le marché anglais se distingue, semble-t-il, des autres marché européens par le poids des négociants en vins, les "wine merchant". Ils sont en fait les intermédiaires obligés pour qui veut vendre du champagne sur le marché anglais. S'il apparaît comme un personnage clé, il le doit à sa réputation de connaisseur en vin. Ce sont ces "wine merchant" qui en grande partie ont assuré le succès commercial des vins de Bordeaux, mais également des "vins d’Espagne", comme le xérès ou le porto, très en vogue sur le marché anglais au XIXème siècle[1]. Rappelons également qu’ils ont compté parmi les premiers amateurs des vins (tranquilles) de Champagne[2]. A. Hubinet évoque à plusieurs reprises la connaissance que ces "wine merchant" ont du vin en général, du champagne en particulier[3]. Mais s’ils jouent un rôle clé, c’est surtout en raison de la forte emprise qu’ils exercent sur l’importante demande du marché anglais - ou tout du moins celle des élites[4]. M. Etienne le met déjà en évidence dans son ouvrage sur la maison Clicquot au début du XIXème siècle, reprenant également les propos de A. Simon[5]. Il s'agit là semble-t-il d'une particularité du marché anglais. Les envois que la maison Pommery effectue sur d’autres marchés – et notamment en France, Belgique et Pays-Bas – ne sont pas tous dirigés vers des marchands de vins, ou même des hôteliers/restaurateurs. Nombre d’entre eux sont expédiés directement à des particuliers. Sur certains "avis d'expédition", la profession du client à qui l’envoi est fait est parfois indiquée : nous trouvons ainsi les mentions de "propriétaire"[6], d’ "avocat" , de "médecin", etc… Sur le marché anglais, nombre de consommateurs semblent être en relation avec un « fournisseur ordinaire »[7]. Il convient toutefois d'être prudent ici car les spécificités que nous mettons en évidence tiennent peut-être en partie au fait que A. Hubinet s'adresse avant tout aux principaux "wine merchant", aux plus importants[8].

 

Les envois qui leur sont faits s'élèvent à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de caisses. Sur les marchés continentaux, la plupart des envois de la maison Pommery sont composés tout au plus d’une ou quelques centaines de bouteilles, rarement plus. Il existe un véritable changement d’échelle, que A. Hubinet souligne d'ailleurs quand il fait la distinction entre « la vente à la bouteille » du Continent et le marché anglais[9]. Ce changement d’échelle souligne l'enjeu que peut représenter ce marché pour une maison de champagne. Mais il montre également l’influence que les "wine merchant" peuvent avoir dans le lancement d’une marque. Hubinet l'évoque à plusieurs reprises :

 

         «[…] Ils ont choisi le vin d’une autre maison et en ont acheté une forte partie. Ils feront sans doute le succès de cette maison comme ils ont fait celui de Roederer .»[10]

 

Le succès ou l’échec d’une marque sur le marché anglais semble largement conditionné par l’appréciation de certains de ces négociants, ce qui n’est pas le cas sur tous les marchés, comme sur le marché belge par exemple[11]. Cette influence tient en grande partie à la qualité de sa clientèle : un "wine merchant" est d'autant plus influent que sa clientèle est distinguée et choisie. D’ailleurs, si A. Hubinet sollicite les principaux négociants du marché anglais et s'il cherche également à s'attacher les faveurs de négociants influents, c’est qu’il espère qu’une maison consente à pousser la marque et contribue à en assurer le succès[12].

 

1.1.2. Des contraintes propres au marché anglais

 

Cette influence des "wine merchant" les placent en position de force. Ils sont en quelque sorte la clé du marché anglais, ce qui impose aux maisons de champagne de les ménager. En fait, cette influence se rapporte très certainement, nous l'avons dit, à quelques maisons, les principales, celles qui ont la plus belle clientèle, celles qui achètent le plus largement[13]. Elle est en tout cas perceptible, aussi bien dans la correspondance de A. Hubinet que dans celle de la Maison. Ainsi, H. Vasnier lui conseille, dans la lettre où il lui expose ses conditions de représentation, de ne vendre aux particuliers qu’à des prix élevés afin de « laisser une marge considérable au négoce »[14]. N’oublions pas que H. Vasnier lui-même a travaillé en Angleterre et doit certainement être au fait des mœurs commerciales anglaises. Quand un négociant propose à A. Hubinet de faire passer une annonce en son nom pour introduire la marque, il lui recommande la plus grande prudence « pour ne pas effaroucher les négociants », considérant que « mieux vaut faire des affaires [par eux-mêmes] plutôt que s’attirer l’opprobre des négociants »[15]. A. Hubinet souligne lui-même la nécessité d'intéresser les négociants aux affaires de la Maison pour réussir. Les relations avec les négociants constituent une dimension fondamentale du développement des affaires sur le marché anglais.

 

Cette volonté trouve sa concrétisation dans un mode de travail particulier. La maison Pommery ne vend, théoriquement, que par l'intermédiaire des négociants et refuse de vendre directement aux particuliers. Nous ne savons pas exactement à partir de quand cette règle a été adoptée, ni à qui en revient l’initiative, mais d'autres maisons de champagne la suivent également. Il n'est pas impossible qu'elle ait été imposée par les négociants eux-mêmes - pour ne pas que les agents leur fasse de la concurrence - ou que la maison Pommery ait été obligée de s'aligner sur ses concurrents. En tout cas, il s’agit là d’une condition essentielle pour la réussite d’une marque sur ce marché :

 

         « […] Le marché est couvert de maisons françaises et allemandes qui s’adressent aux Particuliers après avoir vainement sollicité les Négociants, de là une crainte exagérée des Négociants d’ouvrir un compte avec des maisons qu’ils ne connaissent pas… »[16]

 

Cet extrait met bien en évidence la position privilégiée des négociants anglais et leur volonté de ne pas entrer en rapport avec des maisons qui leur feraient la concurrence. De même, les plus importants d'entre eux pour le moins semblent avoir fait du système de réservation des vins une conditions pour entrer en affaire avec eux. Ils achètent leurs vins à l’avance et les laissent vieillir dans les caves pendant deux à trois ans avant de se les faire livrer. Ce système répond, nous le verrons, aux exigences du goût anglais. Là encore, nous ne savons pas à qui revient véritablement l’initiative de ce système : les "wine merchant" l’ont-ils imposé  ou certaines maisons de champagne l’ont-elles proposé afin de s’assurer leurs achats ? La plupart des maisons de champagne l'ont en tout cas reprise à leur compte. Au début des années 1870, ce système est tellement généralisé qu’il semble impossible d’y échapper[17].

 

1.2.         Un marché exigeant

1.2.1. Le "goût anglais"

 

Il convient de préciser avant tout ce que nous entendons par "goût anglais". Cette appellation désigne ce goût dont nous avons vu qu'il se distingue totalement de celui alors en vogue sur le continent européen : il se porte essentiellement sur des vins vieux[18], secs et remontés en alcool[19]. Cependant, cette appellation est réductrice[20]. Elle donne une fausse image d'unanimité, alors que la réalité est plus nuancée. Des vins plus sucrés - ou des vins plus riches - continuent d'y rencontrer un grand succès, comme en témoigne la prééminence de marques comme Clicquot ou Roederer dans certaines parties de l'Angleterre[21]. D’ailleurs, H. Vasnier évoque une lutte entre deux styles de vins totalement différents au début des années 1860[22]. De fait, les goûts sont extrêmement divers - la Maison ne cesse de la souligner - y compris jusque dans les années 1870.

 

Le goût pour des vins secs ou très secs est en vogue, principalement chez les connaisseurs, depuis quelques décennies déjà[23]. Le mouvement alors engagé ne cesse d'évoluer vers des vins plus secs[24]. Ce goût se rencontre principalement dans la capitale ; à cet égard, il semble y avoir une véritable divergence par rapport à la "Province" :

 

« […]Le goût prédominant à Londres est décidément aux secs […] Les négociants savent fort bien que les Bollinger et les Perrier "secondes qualités" ne valent ni le Clicquot, ni le Roederer, mais ils vendront plutôt 25 caisses des deux premières, que deux de l’un ou de l’autre des deux derniers. Nous ne pouvons satisfaire un goût si vicié avec des vins "fruity" comme le C.N. ou le C.B. Il faut un vin aminci, desséché, privé de sève, aussi sec que possible, mais sans raideur. Je dis aminci, parce qu’un vin de ce genre doit nécessairement manquer de corps ; mais ils en sont tous à demander un vin plus plein et qui reste aussi sec – personne n’a pu jusqu’ici le leur fournir. Un vieux négociant me disait ce matin que " le champagne qui répondrait le mieux au goût actuel est celui avec lequel on pourrait se laver les mains sans les sentir collantes ensuite". »[25]

 

Ce passage est extrêmement intéressant car il met en évidence la force de ce goût. La remarque de A. Hubinet concernant la vente des vins de Bollinger et Perrier-Jouët montre que le cachet sec est le premier critère de référence des négociants anglais : un vin de seconde qualité répondant à ce goût a plus de chance de réussir qu’un vin de grande qualité s’en distinguant, à l'instar de ceux fournis par Clicquot et Roederer. Précisons que Bollinger et Perrier-Jouët sont des marques qui connaissent un certain succès sur le marché anglais, surtout le Perrier-Jouët, très prisé, qui jouit d’une notoriété considérable. Il semble bien cependant qu’une exigence de qualité se fait de plus en plus sentir, tous les négociants demandant « un vin plus plein ». La remarque de A. Hubinet souligne l’enjeu du marché anglais à cette époque : il y a une place à prendre pour une marque capable de fournir un vin répondant à ces exigences nouvelles. De même, la primauté du goût sec permet à certaines marques, qui s’y sont adapté, de connaître le succès, sans pour autant jouir d’une grande notoriété auparavant. La marque Irroy en est l’illustration parfaite  :

        

«  […] En outre vous savez fort bien qu’à Londres et ailleurs il faut des vins vieux opérés de quelques semaines. Si nos vins étaient vieux opérés, nous en obtiendrions plus facilement 60/- FOB que 46/- tels qu’ils sont. Témoin Irroy ! Marque de troisième ordre, qu’on trouve maintenant dans tous les clubs du Royaume. »[26]

 

Ce passage nous permet de reconstituer grossièrement l’histoire de la marque Irroy, tout du moins de proposer une interprétation de son succès sur le marché anglais. En 1863, A. Hubinet demande à la Maison « la valeur de la marque Irroy »[27], ce qui ne prouve pas en faveur de la notoriété de cette marque, qualifiée d’ailleurs de « marque de troisième ordre ». Or elle a dû connaître un véritable succès en s’adaptant aux exigences anglaises : la mise sur le marché de vins sans liqueur, forme extrême du goût sec des élites anglaises, de même que sa présence dans «  tous les clubs du Royaume » - fréquentés par l’aristocratie et les élites, c’est-à-dire les milieux les plus demandeurs de vins secs - viennent en témoigner[28].

 

Ce goût pour les vins secs – autre fait remarquable qu’il convient de souligner – est prôné par les élites anglaises en général :

 

« L’aristocratie anglaise est de plus en plus enragée pour les vins très secs. Notre 6% est trouvé trop sucré pour les Clubs. »[29]

 

«Les vins très secs sont de plus en plus à l’ordre du jour dans les classes supérieures ; on me dit que les Dames de l’Aristocratie se piquent d’honneur de ne boire que des champagnes à 3, 4 ou 5%  de liqueur. J’ai offert hier à dîner à deux négociants en vins et leurs dames ; celle-ci firent la grimace en buvant notre C.B. et aimèrent notre vin  sans liqueur. »[30]

 

Ces exemples mettent en évidence le lien entre consommation du champagne sec et les élites du pays, « les classes supérieures », dont les membres sont réputés pour être connaisseurs en vin. Plus généralement, le vin sec semble particulièrement apprécié des  "connaisseurs"[31]. L’aristocratie a une telle influence sur la consommation de champagne en Angleterre que les événements l’affectant ont des répercussions immédiates sur la situation des affaires[32]. Sa présence à Londres pour une partie de l’année au moins, liée à l’activité de la cour d’Angleterre, et la concentration des activités politiques et économiques font de la capitale du royaume non seulement un grand centre de consommation mais également le centre d’impulsion de ce goût, qui évolue de plus en plus aux vins très secs[33]. L’anecdote concernant la consommation des dames est particulièrement significative, étant donné que le champagne, comme vin sucré, a rencontré dès ses débuts un grand succès auprès de la gent féminine, de sorte qu'il a vite eu une image de vin de femme.

 

1.2.2. Une exigence de qualité

 

La plupart de ces négociants ont une large connaissance à propos de tout ce qui peut toucher aux vins, notamment aux vins de Champagne :

 

         « […] Ces jours derniers, je rencontre dans Mark Lane le chef d’une maison très importante ne faisant que le commerce de gros […] Je lui avais dit à l’avance que nous allions déguster du 1858 ; ce n’en était pas et il l’a bien vu. Il ne l’oubliera pas. Quoi que vous en pensiez, le haut commerce de ce pays est très éclairé, la concurrence dans nos affaires y est très active. Les achats s’y font rarement sans une comparaison d’échantillons ; la vérité ne manque jamais de se faire jour et en ne représentant pas les choses telles qu’elles sont, on se perd sans retour. »[34]

        

Cette connaissance de ce qui a trait au vin qu'ont la plupart des wine merchant fait du marché anglais un marché particulièrement exigeant[35]. A. Hubinet souligne d'ailleurs dans ce passage combien il est difficile et dangereux, pour une maison qui tient à réussir sur ce marché, d'essayer de les duper. Nous ne savons pas en l'occurrence si la Maison est de bonne foi. Si les Anglais ont la réputation d'être connaisseurs en vins, sans doute tous ceux qui en consomment ne s’y entendent pas en vin. Ils s'en remettent à leur "wine merchant" qui, eux, sont attentifs à ce que le vin réponde à leurs exigences. Il est de la plus haute importance pour eux, bien évidemment, de ne pas vendre un champagne de mauvaise qualité à leurs clients, en raison notamment des liens de confiance qui les unissent. Ils doivent garantir de la qualité du vin. Si toutes les marques – même celles qui ont déjà une certaine réputation - sont obligées de faire déguster leur vin, c’est bien que les wine merchant tiennent à s’assurer de leur qualité. Si des progrès indéniables ont été réalisés dans la maîtrise du vin, son élaboration, nous l'avons vu, reste encore soumise à de nombreux caprices et il est toujours difficile de fournir une qualité permanente. De fait, un vin de mauvaise qualité condamne une marque sans rémission :

 

         « […] Vous n’avez pas idée comme on dégringole dans ce pays, et quand l’opinion a pris une marque en grippe, elle est perdue sans retour. »[36]

 

Ce passage s’inscrit dans toute une série de reproches que A. Hubinet adresse à la Maison concernant la qualité des vins ; en l’occurrence, c’est la limpidité du vin qui est en cause. La qualité du vin est une condition essentielle à la réussite sur le marché anglais. Non seulement elle est indispensable pour réussir, mais surtout il est impératif de la maintenir sous peine de se condamner, ce dont témoigne cet extrait. Il est vraisemblable en tout cas que ce vin n’aurait pas essuyé de telles critiques sur d'autres marchés. La remarque de A. Hubinet, nous amène en effet à penser que le marché anglais est particulièrement exigeant concernant la qualité : il souligne que la Maison ne peut s’imaginer à quel point la chute peut être rapide pour une marque quand elle ne répond plus à cet impératif. Il semble sous-entendre par-là qu’elle n’a pas l’habitude de rencontrer un tel niveau d’exigence sur d’autres marchés. Sur le marché anglais, toute cuvée de moins bonne qualité peut faire perdre la « réputation la mieux assise ». La contrepartie de cette exigence de qualité réside dans sa capacité à payer un champagne rare, et de bonne qualité, à des prix élevés :

 

         « […] Si vous pouviez me trouver d’assez bons 1857, ou des 1858 plus corsés que ce que vous venez d’acheter, je les vendrais facilement à n’importe quel prix ; les bons vins mûrs deviennent très rares. »[37]

 

Cette exigence du marché anglais se traduit par l’importance particulière qu’y jouent les dégustations. Là encore, nous manquons d’éléments de référence avec d’autres marchés. Dans la correspondance envoyée aux autres représentants ou agents, il n’est quasiment jamais fait référence à l’envoi d’échantillons, à l'inverse de la correspondance expédiée à A. Hubinet. Nous ne voulons pas dire qu’elles ne sont pas de règle sur les marchés continentaux, mais elles ne sont sans doute pas aussi systématiques que sur le marché anglais, où A. Hubinet précise que les achats se font rarement sans une comparaison d’échantillons »[38]. Elle est une étape nécessaire, par laquelle les "wine merchant" s’assurent de la qualité[39]. Une large part de la correspondance qu'il envoie à la Maison fait référence aux différentes dégustations, leurs résultats, ce qu’il faut en attendre. Cette place éminente met en évidence leur importance pour une maison. Avant la période des achats, la plupart des maisons de champagne laissent des échantillons de leurs nouvelles cuvées aux négociants pour recueillir leur avis et éventuellement les modifier si elles ne plaisent pas[40]. Ces dégustations contribuent à faire du marché anglais un marché extrêmement concurrentiel, les "wine merchant" comparant ses échantillons au vin qu’ils considèrent comme leur référence et qu'ils ont l'habitude d'acheter[41]. Une marque connue, qui jouit d’une bonne réputation, n’a besoin que de peu d’échantillons pour vendre ses vins. La marque Pommery étant inconnue, ou presque, sur ce marché, A. Hubinet compte sur ces dégustations, dans un premier temps, pour faire connaître la marque auprès des négociants et de leurs clients ; elles sont perçues comme un investissement dont il attend un retour dans l’avenir pour la marque[42]. Ces démarches l’obligent à avoir des échantillons de différentes opérations à proposer.

 

1.3.         La vision du marché anglais développée par la maison Pommery

1.3.1. Ses réactions à l’égard du "goût anglais"

 

         Il est intéressant de revenir sur ce point essentiel pour notre propos. Si la maison Pommery prône le cachet sec de ses vins, ce n'est pas pour autant, nous l'avons vu, qu'elle approuve le goût anglais, bien au contraire. Elle rejette un certain nombre de pratiques auxquelles ont recours certaines maisons pour préparer leurs vins destinés à ce marché, vins dont elle considère qu’ils trahissent le cachet véritable du vin de Champagne[43]. Mais, au-delà de ces critiques, la Maison – et même Hubinet[44] - se positionne plus largement contre le "goût anglais", qu’elle juge « bizarre »[45]. Les critiques concernant ce goût ne manquent pas, comme le montrent les dégustations d’échantillons de vins concurrents, préparés pour le marché anglais[46]. Une lettre datée de 1862 par exemple affiche ainsi le mépris de la Maison pour les vins «à l'état brut », sans liqueur, qu'elle juge «détestables»[47]. Or nous avons vu que les vins "sans liqueur" connaissent un certain succès à cette période. Les appréciations des "wine merchant" sur les échantillons de A. Hubinet mettent d’ailleurs ce décalage en évidence :

 

         « […] Le principal négociant de Cheltenham a aujourd’hui dégusté nos trois qualités. La C.V. n’est pas assez riche pour sa vente. La C.N. a été comparée à Perrier-Jouët, bon vin rond mais ayant un léger goût de terroir ; notre vin a été trouvé plus délicat mais moins riche et trop sucré.[…] Je lui ai présenté une bouteille de C.B. débouchée samedi à Birmingham. Il a paru l’admirer beaucoup, mais lui a trouvé trop de sucre. »[48]

 

Les vins de la Maison, secs voire trop secs sur certains marchés continentaux, ne conviennent pas pour le marché anglais car ils sont jugés trop sucrés. Ce n’est pas la qualité des vins qui est ici remise en cause, puisque la "Carte Blanche" semble avoir été « admirée », la "Carte Noire" trouvée « plus délicat[e] » que le Perrier-Jouët. Généralement, la qualité du vin est reconnue. A. Hubinet va même jusqu’à prétendre, dès 1862, que la Maison « a le meilleur vin que l’on trouve ici […], destiné à beaucoup de succès »[49]. 

 

A. Hubinet, en accord avec la maison Pommery, propose dans les premiers temps des vins riches[50]. En cela, il semble préférer le cachet "français" - vin riche et fruité - au cachet "anglais", porté sur des vins chargés. La maison Pommery, nous l’avons vu, adhère à ce cachet "français"[51]. H. Vasnier appelle de tous ses vœux au succès de ce cachet, incarné par le vin le plus représentatif du style de la Maison, la "Carte Blanche"[52]. Mais elle ne renonce pas non plus à ses critiques à l’égard des maisons Clicquot et Roederer. Elle défend une position fédératrice, espérant que son cachet «concilier[a] toutes les opinions extrêmes». Cette position est révélatrice de cette "culture de produit" que nous avons déjà évoquée[53] : la maison Pommery a confiance dans les qualités de son vin et veut l'imposer en Angleterre. Elle incite fortement sons agent à prôner le cachet propre de la Maison, plutôt que de « copier servilement les autres »[54]. Elle lui répète à plusieurs reprises qu'elle ne tient pas à opérer « exprès pour le marché anglais »[55]. Les critiques concernant le nombre d'échantillons et d'opérations préparées pour le marché anglais s'inscrivent d’ailleurs dans ce cadre. Elle lui reproche en effet, à plusieurs reprises, de « multiplier les qualités sous prétexte de vente », alors qu’il vaut mieux selon elle s’en tenir à son seul cachet, « seul moyen de [se] poser honorablement un jour»[56]. A la lumière de ces éléments, il est difficile de ne pas parler de conviction à l’égard de son propre cachet de vin.

 

1.3.2. Une certaine "anglophobie"

        

Ce terme d’"anglophobie" est peut-être un peu excessif, encore que ce n’est pas sûr. Il y a en tout cas, dans la correspondance que H. Vasnier envoie à A. Hubinet, des réactions très vives à l’égard du marché anglais. Cette "anglophobie" se manifeste à propos du vin lui-même, puisque ce marché est suffisamment puissant pour imposer un type de vin, « celui des gens comme il faut »[57]. C'est d'autant plus étonnant de la part de H. Vasnier qu’il a, rappelons-le, travaillé lui-même en Angleterre dans une maison de banque. Ainsi, critiquant les conditions de stockage des vins dans les dépôts anglais, il recommande à son agent de faire valoir que les « Anglais s'y entendent peu en vin »[58]. Dans la lignée de ces propos, il s'élève également contre les prétentions anglaises en ce qui concerne le vin[59] et surtout les activités commerciales. Il en va ainsi du système de traite pour le règlement des factures, seul « système business-like », mais que refusent les Anglais ont eu du mal à adopter[60]. D'une manière générale, il critique le laxisme des "wine merchant" quant aux paiements ; il ne cesse de recommander à A. Hubinet de « bien habituer les clients » à payer régulièrement leurs créances, et non à imposer eux-mêmes le délai de paiement[61]. Au début des années 1870, H. Vasnier n’a pas de mots assez durs pour mettre en cause le système de  réservation des vins :

 

« […] Ce système fait supporter au producteur une perte de 25% pour ne pas l’imposer au consommateur, c’est un système ruineux qui incite à réduire la qualité, comme le font certaines maisons. »[62]

 

         La Maison se montre peu disposée à céder face aux prétentions anglaises, d'autant plus qu'elles lui semblent iniques au regard de la situation des vins de Bordeaux et de Bourgogne[63]. A l'instar du vin, elle tient à imposer ses idées. D'ailleurs, A. Hubinet semble avoir réussi à habituer les négociants anglais, non sans mal[64]. Quant au système de réservation, si la Maison est obligée de céder, elle tient cependant à imposer ses conditions :

 

« […] S’il n’y a pas moyen d’éviter d’accorder des réserves pour le 1870, accordez les, mais à la dernière extrémité et à la condition formelle que les vins seront enlevés complètement de nos caves au 30 avril 1874 […] avec un dédommagement de 1% par mois quand le délai sera passé.»[65]

 

Cette vision nous a semblé intéressante à développer ici, car elle met en perspective l’évolution de la maison Pommery sur le marché anglais.

 

2.                Une évolution impulsée par A. Hubinet

 

2.1.         Les orientations définies par A. Hubinet

2.1.1. "Donner du relief à la marque"

 

Malgré les intermédiaires que la Maison a déjà eu sur le marché anglais, la marque Pommery en est à ses débuts sur ce marché où elle n’est pas connue. A. Hubinet et H. Vasnier la présentent eux-mêmes comme étant « nouvelle »[66]. Dès ses débuts, A. Hubinet semble cependant avoir choisi de travailler particulièrement les élites et les lieux qu'elles fréquentent, comme en témoigne cet extrait daté de 1861:

 

« […] Je me propose de travailler spécialement les grands hôtels et les Clubs. C’est un moyen expéditif pour propager la marque et qui lui donne du relief…»[67]

 

Ces "grands hôtels" et ces "clubs" sont en effet fréquentés par l’élite des sujets du royaume, et particulièrement par l’aristocratie. Les clubs notamment ont connu un formidable essor[68]. Cette "stratégie" de A. Hubinet présente un double intérêt. Cibler ses efforts sur ces élites permet de faire connaître la marque auprès de consommateurs exigeants, aisés, traditionnellement considérés comme de véritables connaisseurs en vins et exerçant par-là même une certaine influence sur le goût et les modes du pays. Pour reprendre une terminologie actuelle, il est possible de les assimiler à des "leaders d'opinion": par leur influence, elles sont à même de développer la notoriété de la marque. D'autre part, voir son vin apprécié par un milieu réputé connaisseur contribue bien évidemment à soigner l'image d'une marque, à lui conférer un certain prestige. C'est ce qu'il faut entendre quand A. Hubinet parle de « donner du relief à la marque ».

 

Si cette orientation ne relève pas de l’initiative de la Maison elle-même, le niveau élevé de ses prix incite A. Hubinet à s’adresser en priorité, dès les débuts de la marque, à des maisons de premier ordre - celles qui ont une clientèle choisie, distinguée -, les seules à pouvoir acheter les vins de la marque[69]:

 

« […]On commence décidément à parler de la Marque ; on se récrie beaucoup contre les prix. Les premières difficultés sont les plus difficiles à surmonter, mais quand quelques grandes maisons voudront bien nous donner un coup d’essai, l’affaire ira toute seule. »[70]

 

Quoique la marque soit nouvelle sur le marché anglais, la maison Pommery ne transige pas avec ses prix pour essayer, dans un premier temps, de vendre et développer ses affaires, et ce même s’ils représentent un handicap à ses débuts. Ses prix comptent d'ailleurs parmi les plus élevés du marché[71], ce qu'elle justifie par la qualité du vin[72]. Elle fait donc en quelque sorte le pari de tenir ces prix élevés et, partant, de s’imposer par sa qualité. Par ailleurs, cette orientation vers un public connaisseur, exigeant, tient également à la qualité des vins de la marque. La maison Pommery, nous l’avons vu, porte ses efforts vers des vins de qualité - et adopte une politique en conséquence - pour satisfaire une clientèle exigeante[73]. Selon A. Hubinet, la Maison dispose du meilleur vin sur le marché anglais, ce qui augure de son succès[74]. D’après son analyse, il semble, en outre, qu’il y a une place à prendre dans les vins de qualité[75]. Cette orientation, définie semble-t-il en fonction des contraintes du marché anglais, correspond à celle que la maison Pommery entend suivre, et qu’elle suit en cherchant à se recentrer sur les vins de qualité supérieure[76]. Il n’est pas utile de préciser à quel point cette politique est exigeante, car elle suppose une qualité constante sur un marché aussi attentif à la qualité que peut l’être le marché anglais[77].

 

Cette stratégie est poursuivie et développée dans les années 1860, alors que A. Hubinet cherche à faire connaître la marque Pommery. Elle trouve une résonance dans les démarches qu'il effectue auprès des négociants[78], mais également auprès des hôteliers :

 

« […] L’idée dont je vous ai fait part à mon dernier voyage de descendre dans les principaux hôtels de Londres devrait avoir d’excellents résultats. En introduisant la marque dans une quinzaine des meilleurs, nous nous ferons déguster par la crème de la crème des sujets de la Reine VICTORIA et je m’arrangerais de telle façon que les hôtel-keepers demandent nos vins chez les négociants. Dans l’hôtel que j’habite à présent, je dépense 8/- par jour ; dans les hôtels dont je vous parle, il me faudrait dépenser environ 30/-. […] Ce plan m’a complètement réussi à Brighton et vous savez que le public de la Brighton season est à peu près le même que celui de la London season… »[79]

 

Dans cet extrait - comme dans le premier cité dans cette partie - c'est A. Hubinet qui prend l'initiative, la maison Pommery se contentant de donner son accord. En l'occurrence, cette stratégie n’est pas sans comporter quelques risques, notamment financiers ; elle représente un véritable investissement pour la Maison[80]. Cet extrait nous apprend qu'il s'agit là d'une extension de la politique déjà suivie avec succès à Brighton - ville balnéaire du sud de l’Angleterre où se retrouve toute l’aristocratie anglaise pendant la saison estivale. Cette extension traduit une véritable "stratégie", cohérente et suivie : se faire « déguster par la crème de la crème des sujets » du royaume, car le succès auprès de ces consommateurs peut contribuer au succès de la marque sur le marché anglais. Il doit assurer la crédibilité de la marque aux yeux des "wine merchant".

 

2.1.2. Les vins secs

 

Là encore, cette orientation est définie en fonction des évolutions du marché anglais, et notamment du succès rencontré par ces vins secs :

 

« […] Albrecht s’est trouvé dernièrement lancé dans la plus haute sphère en produisant un vin plus sec que tous ses confrères. […] Il nous faudra essayer de contenter ces deux classes : les secs et les très secs. Les premiers n’aiment pas les très secs et réciproquement. »[81]

 

Le vin sec connaît, nous l’avons précisé, connaît un grand succès, à tel point que A. Hubinet, qui a essayé de percer avec les vins riches de la Maison, a dû renoncer à cette politique[82]. Le vin de la marque est jugé, à ses débuts, trop sucré par les principaux "wine merchant"[83]. Ce n’est pas la qualité du vin qui est remise en cause, au contraire : il est généralement trouvé délicat[84]. Le rôle de relais que doit jouer un agent prend tout son sens avec le travail de A. Hubinet sur le marché anglais. Il en connaît parfaitement les spécificités et les évolutions. Il ne cesse d'ailleurs d’informer la Maison quant à la diffusion irréversible des vins secs, et ce dès ses débuts en tant qu'agent. Il l'amène alors, non à abandonner son cachet français, mais à proposer des vins plus secs :

 

« […] A Londres, le goût s’attache de plus en plus aux vins très secs ; deux ou trois maisons expédient des vins sans liqueur ; nos vins les plus secs sont opérés à 6% ; il ne serait pas mal que nous en eussions une certaine quantité opérée à 3 ou 4%… »[85]

 

La surenchère de certaines maisons, qui proposent des vins sans liqueur, et les exigences des consommateurs amènent ici A. Hubinet à demander à la Maison de réduire le dosage de ses vins. C’est du moins ce que sous-tend l’enchaînement de ses propos : les vins "secs" de la Maison ne le sont pas assez pour répondre au "goût anglais" - en vogue à Londres - comme le montre le décalage entre leur dosage et ceux de leurs concurrents. Il s’esquisse ici comme une "course", où il ne faut pas se laisser distancer par la concurrence. La plupart des maisons rencontrent en effet un grand succès en proposant des vins secs. Il suffit de rappeler l’exemple de la maison Irroy qui a percé sur ce marché grâce à ce type de vin[86].

 

Cette orientation vers le vin sec tranche avec la prétention de la maison Pommery à ne pas opérer exprès pour le marché anglais. Elle n’est cependant pas exclusive. A. Hubinet continue toujours d’offrir des vins "riches", qui concurrencent ceux de Roederer et de Clicquot. Ce sont ces marques que la maison Pommery cherche avant tout à concurrencer à ses débuts, mais elles sont très bien implantées sur le marché anglais :

 

« […] J’ai visité ce matin les White de Lime Street. Ils aiment nos vins riches, mais ils ne peuvent les acheter attendu qu’ils sont obligés de tenir le Clicquot et le Roederer, et qu’ils désireraient pouvoir n’en acheter qu’un seul de ce genre. J’ai eu avec eux une conversation spéciale et très longue.» [87]

 

Les vins riches de la marque Pommery prennent la dénomination de C.B.F. (Carte Blanche cachet Français) à partir du milieu des années 1860, alors que les vins secs de la marque prennent la dénomination de C.B.A (Carte Blanche cachet Anglais). Dans la première moitié des années 1860, A. Hubinet tient à avoir à sa disposition plusieurs opérations différentes de plusieurs qualités différentes - pour être sûr de répondre aux exigences des négociants et ne pas manquer des ordres lors de dégustations. A partir de 1865, il ne propose donc plus qu’une seule qualité, déclinée en trois opérations, même s’il pousse surtout le cachet français et le cachet sec dosé à 6%[88]. En cela, il applique la politique de la maison Pommery, qui tient à se recentrer sur les vins de qualité supérieure, allant même plus loin que sur le marché allemand, où deux qualités sont vendues.

 

2.2.         Des difficultés à s’adapter

 

Il entre dans les attributions "normales" d'un agent de permettre à la maison qu'il représente de s'adapter aux exigences d'un marché[89]. Ce rôle prend une autre signification sur le marché anglais, dans la mesure où ce marché impose, semble-t-il, une rupture dans les pratiques commerciales ou de vinification, et dans la mesure où la maison Pommery semble peu disposée à l'opérer.

 

2.2.1. Les reproches de A. Hubinet

 

A. Hubinet est très vite conscient, nous l’avons vu, de la nécessité de s’adapter au goût "dominant". En cela, les dégustations auxquelles il participe jouent un rôle capital. Elles lui permettent de prendre en quelque sorte la mesure de la marque auprès des négociants anglais, et voir ainsi les changements qu'il convient d’apporter au vin. Dès 1861, il souligne la nécessité de présenter des vins plus secs et plus anciennement opérés :

 

« […] Un dernier mot sur le mode d’opération. Huit sur dix les trouvent trop sucrés, "that is a fact", je ne suis pas d’avis pour cela que le mode d’opération soit encore à changer, mais il est impossible de lancer la marque à moins que nous ayons des vins opérés d’un an au moins à offrir au commerce anglais. Nous sommes à même de réussir à Londres mieux que n’importe où ailleurs parce qu’en général il n’y faut pas de vins chargés ; ce qui nous y fait échouer est que nous n’avons pu présenter jusqu’ici que des échantillons nouvellement opérés. Notez bien qu'il en est de même pour nos concurrents. Les vins de Perrier-Jouët, de Moët, etc… ne sont jugés "fit to be drunk" qu’un an après l’importation. Les maisons les plus riches achètent considérablement à l’avance ; elles ont importé leurs 57 et 58 en 59 et 60, et au commencement de cette année considéraient le vin comme à peine prêt à boire. Presque tous nos clients m’ont dit "when your wines arrived, I thought very little of them, now, I like them". »[90]

 

Disposer de vins anciennement opérés est une exigence spécifique au "goût anglais". L’ajout de liqueur au vin vient habituellement atténuer l’acidité naturelle du champagne. Dans le cas des vins destinés au marché anglais, cette dose de liqueur étant diminuée, un séjour prolongé en cave permet au vin d'acquérir plus de rondeur et vient pallier la raideur du vin[91]. Cette pratique témoigne du changement qu'impose le marché anglais dans l’élaboration du vin pour une maison qui veut y réussir. La plupart des maisons de champagne s’y sont adapté, notamment en proposant un système de réservation des vins[92]. En l’occurrence, la jeunesse de ses vins condamne la marque Pommery, comme le fait remarquer A. Hubinet, alors même que leur qualité augure de leur succès. Pourtant, malgré ses recommandations, la Maison semble éprouver des difficultés à opérer cette rupture :

 

 « […] Ils m’ont fait l’observation que la C.B.A./D 157[93] est bien moins bonne que la C.B.A./D  expédiée à eux l’an dernier. Ce vin n’est pas assez vieux opéré ; je ne comprends que vous ne compreniez pas la nécessité d’opérer longtemps à l’avance. L’Irroy marche très vite parce que ces vins sont prêts à boire quand ils débarquent. Perrier-Jouët nous enfonce au 4ème dessous avec des vins conservés pendant trois ans opérés à Calais… »[94]

 

Quatre à cinq ans se sont écoulés depuis ses premières recommandations et la maison Pommery souffre toujours de ne pas s'être adapté aux exigences anglaises, malgré ses promesses[95]. A. Hubinet n'a pourtant de cesse de souligner la nécessité de fournir des vins vieux opérés[96]. Cette attitude est d’autant plus incompréhensible que le succès de marques comme Irroy ou Perrier-Jouët vient confirmer son analyse. Ces marques se sont en effet adapté aux exigences anglaises, en laissant leurs vins reposer en France avant de les expédier prêts à boire.

 

Les reproches que A. Hubinet adresse à la Maison apparaissent de manière récurrente dans sa correspondance. Il se plaint à chaque fois du fait que la Maison ne suit pas ses recommandations et gâche les démarches qu’il a effectuées pour faire percer la marque :

 

« […] Je suis surpris que vous ne vous soyez pas encore occupée de me préparer les vins que vous demandait ma lettre du 20 du mois dernier ; ce n’est pas en allant ainsi à pas de tortue que nous arriverons à rivaliser avec Perrier-Jouët ; c’est au contraire le moyen de nous laisser marcher sur le corps par les Bollinger, Krug, Albrecht & C°. Ces maisons ont commencé à soumettre leur 1861 à la fin de l’an dernier, elles ont eu le temps de modifier leurs opérations et depuis le printemps ont fait réserver ces vins par la majeure partie des grandes maisons de Londres. Les plus belles affaires sont manquées ; il ne nous reste plus qu’à glaner, à nous donner beaucoup de mal, à visiter des maisons qui vous obligent à passer chez elles plus de fois qu’elles ne vous achètent de douzaines. Il faudrait pourtant tâcher d’adopter pour le marché anglais une politique qui lui convienne et ne pas y apporter un système qui ne puisse faire réussir que la vente à la bouteille des marchés du Continent… »[97]

 

Cet extrait est intéressant car A. Hubinet reproche explicitement à la maison Pommery de ne pas avoir opéré la rupture qu’exige le marché anglais par rapport aux marchés continentaux. De fait, elle ne se donne pas les moyens de réussir sur un marché aussi concurrentiel. Elle n’est pas de fait en mesure de rivaliser avec les marques les plus en vogue. Cette incapacité constitue un autre thème récurrent de la correspondance que A. Hubinet envoie à la Maison, qu’il s’agisse de sa promptitude à répondre à ses exigences[98] ou du vin lui-même. De manière générale, la maison Pommery semble faire preuve d’une certaine incompréhension à l’égard des exigences du marché anglais. C’est le cas par exemple des échantillons dont A. Hubinet a besoin pour ses démarches. C’est le cas également des ventes que son agent à Paris réalise occasionnellement à des particuliers anglais, alors que A. Hubinet s’efforce de ne passer que par l’intermédiaire des "wine merchant". Cette règle est adoptée par la plupart des maisons de champagne et A. Hubinet en souligne à plusieurs reprises l’intérêt pour le développement de ses affaires[99]. D'autres reproches suivent encore[100] ; ils s’étendent jusque 1872[101], ce qui semble montrer que cette règle a longtemps été perçue comme une contrainte par la maison Pommery.

 

2.2.2. Un  manque de moyens ?     

 

Dans la lignée des reproches évoqués précédemment, A. Hubinet se plaint à plusieurs reprises l’insuffisance des cuvées que la maison Pommery met à sa disposition, y compris au début des années 1870 :

 

« […] Je serais très content quand votre nouvel établissement sera fini ; vous pourrez opérer plus grandement et plus vos cuvées seront importantes, plus mon travail sera facile. Nous avons souvent parlé des inconvénients qui résultaient de l’achat de cuvées. Une chose pire encore est d’en faire, pour l’Angleterre, dans les années qui ne sont pas tout à fait réussies. Les années médiocres font faire un recul considérable à la Marque. Les maisons Perrier et Roederer, qui ont une demande considérable, expédient encore des 1865. Les maisons secondaires, qui n’ont pu vendre leur vin de bonne heure, expédient aussi leur 1865 ; ils ne valent peut-être pas les nôtres de la même récolte, mais ils sont préférés à notre 1865/67. Les maisons de Bordeaux n’offrent jamais ici que de bonnes années, à l’exception cependant des vins tout à fait bas prix. Tout ce que je vous ai dit sur ce pauvre179 n’est pas parti pris, mais simplement pour vous guider à l’avenir. Cette cuvée se vendra vite, mais nuira à votre réputation. Grâce à trop de petites cuvées dans nos grandes années, nous n’avons encore qu’une réputation restreinte. Ce qu’il faut pour une réputation générale, pour conquérir un pays comme celui-ci, pour vous faire boire par tout le monde, c’est y lancer au moins chaque année 200 000 bouteilles de vins irréprochables ; ces 200 000 bouteilles en feraient boire 100 000 autres qui pourraient être de qualité un peu moins bonne. Nos 30 000 d’un côté et nos 40 000 d’un autre n’ont produit jusqu’ici que des effets comparables à ceux de corps d’armée détachés, qui, quelque victorieux qu’ils puissent être, n’influent que très légèrement sur le sort d’une campagne. Ces petites cuvées ont aussi le défaut de ne pas durer longtemps et cela fait dire à nos admirateurs qu’ils ne peuvent jamais compter boire le même vin deux fois. J’espère que vous ne prenez pas ceci pour des récriminations et que mes observations n’ajouteront pas à vos ennuis d’invasion. En somme je ne suis pas ici pour vous écrire sur l’état de santé de la Reine Victoria. »[102]

 

Cet extrait fait référence à ce problème que rencontre A. Hubinet, à savoir que les cuvées Pommery sont trop insuffisantes pour s’imposer sur le marché anglais. Cela explique sans doute les difficultés de la maison Pommery à proposer des vins vieux opérés comme le réclame A. Hubinet. Il est évident que ce problème se pose surtout à partir du moment où la marque connaît un certain succès. D’ailleurs, les plaintes de A. Hubinet sont datées de 1867[103] ou postérieures. Or c'est à cette date que la marque a connu son premier véritable succès sur le marché anglais, avec la cuvée 1865. Les cuvées alors proposées ne peuvent satisfaire la clientèle, alors même que la maison Pommery semble avoir mis à la disposition de son agent une quantité importante - sans doute considérable[104] - de cette cuvée.

 

Ce problème handicape le développement de ses affaires sur le marché anglais. Ses capacités de stock doivent être relativement limitées au cours de cette première période ; elles ne dépassent pas 8.000 hectolitres[105]. Elle n'a vraisemblablement pas les moyens de suivre ses cuvées - et notamment ses cuvées de qualité. Pour répondre à la demande, la maison Pommery semble contrainte d’acheter une grande partie de ses cuvées et de les mettre sur le marché, y compris lorsqu’il s’agit d’années médiocres. Il n’est pas difficile de comprendre en quoi ce problème gêne le travail de A. Hubinet. Il lui faut, pour chaque nouvelle cuvée, faire de nouvelles démarches auprès des "wine merchant", de nouvelles dégustations, définir les dosages les mieux adaptés[106]. De plus, le fait de n’avoir que de petites cuvées entraîne une certaine méfiance de la part des négociants car ils ne sont jamais sûrs d’avoir deux fois des vins de même qualité. Cette remarque montre à quel point il est difficile d’assurer une continuité de goût lorsque la demande est importante. Cela suppose des moyens,  que la maison Pommery ne semble pas posséder à ce moment. La comparaison avec la maison Perrier-Jouët - une des mieux implantées sur le marché anglais, pionnière de la révolution dans les vins secs - est éclairante à ce sujet. Elle conserve ses vins en cave à Calais, pendant trois ans avant de les expédier, de sorte qu'ils répondent parfaitement aux exigences des consommateurs anglais[107]. Alors qu’au début des années 1870, elle « expédi[e] encore des 1865 », vin de grande qualité[108], grâce aux cuvées plus importantes dont elle dispose, la maison Pommery propose elle des 1865/1867 de qualité médiocre. La différence de moyens se mesure facilement entre les 40.000 bouteilles de la Maison et les 200.000 qu’il lui faudrait pour s’imposer sur le marché anglais.

 

Il est évident qu'une telle politique (celle de Perrier-Jouët) a un coût, coût que la maison Pommery ne peut sans doute pas supporter, tout du moins dans un premier temps. Son refus de louer de nouvelles caves à Londres au milieu des années 1860 vient en témoigner. Il est possible que ce problème s’explique par une certaine réticence à s’engager sur le marché anglais, à le privilégier au détriment d’autres marchés[109]. A. Hubinet semble sous-entendre, à plusieurs reprises, que la Maison ne tient pas à proposer des cuvées plus importantes pour ce marché, alors qu’elle aurait, selon lui, la possibilité de le faire[110]. Cependant, elle semble surtout ne pas avoir les moyens de ses ambitions. Dans les faits, elle est confrontée à un problème récurrent - au moins encore jusqu’au début des années 1870 - concernant la qualité de ses cuvées. A. Hubinet se plaint amèrement de cet inconvénient à plusieurs reprises, car il gâche son travail et la réputation que la marque a pu acquérir grâce à ses excellentes cuvées[111]. A plusieurs reprises, il menace d’arrêter toute démarche tant il est découragé. La maison Pommery, faute de cuvées plus importantes, ne peut rivaliser avec ses principaux concurrents. C'est ce qui explique les difficultés que rencontre A. Hubinet : la marque n’a connu que des succès limités jusqu’à présent et ne bénéficie que d’une réputation restreinte. L’extrait cité ci-dessus met en évidence l’enjeu que représente ces cuvées plus importantes « de vins irréprochables » pour la maison Pommery : la qualité est le seul moyen pour s’imposer sur le marché anglais. Il met alors également en évidence l’enjeu que représente la construction d’un nouvel établissement. A. Hubinet en attend beaucoup en tout cas. Il semble qu’avec cette décision la maison Pommery tient à se doter de moyens qui lui permettent de développer ses affaires.

 

2.3.         Une percée réussie

2.3.1. La réputation acquise

 

La réussite de la marque Pommery sur le marché anglais semble indéniable au début des années 1870, même si certains problèmes continuent à se poser. Elle s’y est forgée une réputation de qualité :

 

« […] la qualité probable permet aux maisons bien posées d’acheter, ce qu’elles font toutes, je suppose. Surtout marchez de l’avant et n’ayez pas peur. Rappelez-vous que vous pouvez vendre ici plus cher que n’importe qui et que, par conséquent, vous pouvez acheter plus cher que vos concurrents. […] Avec la réputation que nous avons dernièrement acquise, ce n’est pas trois cent mille bouteilles que nous pourrons vendre par an, c’est cinq cent mille. N’ayez pas peur. Tout ce que vous achèterez sera vendu à bénéfice, vous pouvez en être sûrs. Les vins de Champagne fins ont plus de vogue que les premiers crus de Bordeaux. »[112]

 

« […] Malgré la hausse des prix, il ne faut pas croire que nos affaires diminueront dans ce pays, car c’est le contraire qui aura lieu, grâce à notre bonne réputation et à la prodigieuse prospérité publique. »[113]

 

Ces extraits datés de 1872 font référence à la flambée des prix dans le vignoble champenois. Si A. Hubinet incite si fortement la maison Pommery à acheter, c’est que la réputation acquise par la marque représente un gage de développement des affaires. Il se veut rassurant quant à l’avenir, soulignant peut-être à cette occasion la « peur » qui a pu freiner l’engagement de la maison Pommery sur ce marché. En tout cas, il est possible d’apprécier la marge de manœuvre qu’autorise une réputation de qualité : sur un marché aussi exigeant que le marché anglais, elle attire les consommateurs qui recherchent avant tout la qualité, et ce malgré la hausse de ses prix. A. Hubinet le souligne dans un extrait daté de 1873 : les prix alors pratiqués par la maison Pommery sont trop élevés pour son ancienne clientèle, mais le prestige de la marque vient plus que compenser cette perte, en attirant de nouveaux clients[114]. Il n’est pas difficile de voir en quoi il s’agit d’un changement pour la marque sur le marché anglais. Il suffit de rappeler les plaintes de la maison Pommery concernant les prix sacrifiés pratiqués par A. Hubinet, ou plus généralement les exigences des "wine merchant" qu’elle a dû subir[115].

 

Cette réputation semble consacrer les efforts réalisés par la maison Pommery pour produire un vin de grande qualité, capable de rivaliser avec les plus grandes marques. Dès le début des années 1870, elle s’impose comme une des plus grandes marques sur le marché anglais, ce dont témoigne la possibilité qu’elle a de « vendre plus cher que n’importe qui ». Si elle a connu des succès jusque-là, qui ont sans doute contribué à cette réputation, son parcours semble cependant chaotique, comme nous avons pu le souligner précédemment. A. Hubinet l’évoque d'ailleurs implicitement : ce n’est que « dernièrement » que la marque a acquis une réputation qui lui permette de développer ses affaires ; il est probable d’ailleurs que les cuvées achetées jusque-là par la maison Pommery ne se sont pas toutes vendues à bénéfice. Il y a en tout cas dans cette reconnaissance une certaine réalisation de ses ambitions initiales. Le vin qu’elle produit ne semble pas en contradiction avec le cachet qu’elle prône à ses débuts[116]. Dès le milieu des années 1860, son style - la délicatesse, l’élégance de son vin[117] - y est reconnu, apprécié et attendu[118]. La cuvée de 1870 est, de l’avis même de H. Vasnier, « bouqueté par excellence, très élégant », ajoutant qu’il n’est pas possible de « composer en vins de 1870 une cuvée meilleure »[119]. La Maison a surtout tenu à « lui laisser son cachet de distinction ».

 

2.3.2. Le rôle de A. Hubinet

 

Le succès de la marque Pommery doit beaucoup au travail exigeant de son agent. Il ne se contente pas d’effectuer les démarches pour placer le vin ; il joue un rôle actif dans la définition du produit, notamment dans le choix et le dosage de telle ou telle cuvée :

 

« […] Comme vous me l’annonciez, le vin est moelleux et corsé ; mais il manque complètement de finesse et de plus il est presque brun. Je l’ai soumis à une dizaine de négociants dans le West End et dans la City. Il a plus à la majorité, mais les meilleurs dégustateurs ne l’ont pas aimé. Ce vin plairait en Ecosse et en Irlande ; je pourrais aussi le vendre à Londres, mais il finirait par nuire à la réputation de délicatesse et d’élégance que nous avons déjà acquise. Si vous l’achetez, je le vendrai, mais tout bien considéré, je crois qu’il est préférable de ne pas l’acheter. »[120]

 

Ce passage est le premier faisant référence à la réputation acquise par la marque Pommery sur le marché anglais. Il nous importe surtout de remarquer ici que A. Hubinet joue un rôle critique dans la perspective d’établir cette réputation. Il s'appuie sur sa connaissance pointue des exigences propres à chaque partie du royaume, sur les goûts particuliers, et sur une approche critique du vin de la marque pour la guider sur ce marché. A. Hubinet s’est sans doute arrogé ce rôle en raison des exigences du marché anglais, ce qui n’est pas sans susciter quelques tensions avec la Maison[121]. Il n’hésite pas à condamner certains choix de la Maison[122], ou à l’inciter à en faire des plus audacieux[123]. En outre, il tente de l’amener à rompre avec la logique de vente dénoncée précédemment[124], au profit d’une logique de qualité :

 

« […] Vous me répétez pour la centième fois qu’il est de mauvaise politique de pousser aux vins très secs. Je vous répond de nouveau Nous pourrions doubler le nombre de bouteilles que nous expédions sur le marché anglais en créant de nouveau une clientèle de C.B.A. et de C.B., celle que nous avions n’est tombée que nous lui donnions que de mauvaises cuvées […] Ne frappez fort que dans les grandes années, et dans les mauvaises faites comme les bonnes maisons de Bordeaux, abstenez-vous. Après quelques années d’une telle politique, nous sommes sûrs de commander au marché ; on se disputera nos bonnes cuvées et au lieu d’en passer par toutes les conditions des négociants, nous dicterons les nôtres ! »[125]

 

Selon A. Hubinet, la Maison devrait renoncer à proposer une cuvée si elle n’est pas sûre de garantir un vin dont la qualité ferait la valeur. Là encore, le souci d'asseoir la réputation de la marque apparaît derrière cette logique qu’il tente de promouvoir. Elle répond à l’impératif de fournir un vin de quantité irréprochable sur le marché anglais, alors que les mauvaises cuvées nuisent considérablement à la réputation de la marque. Il est à noter que la maison Pommery partage cette optique, mais il est possible que ses moyens limités l’empêchent de la réaliser pleinement, de manière continuelle[126]. Nous retrouvons cette argumentation à plusieurs reprises, plus ou moins explicitement développée[127]. 

 

A. Hubinet poursuit en fait dans la continuité des orientations qu’il a définies à ses débuts, amenant la maison Pommery à s’adapter aux exigences du "goût anglais". Ainsi, malgré son mépris affiché pour le « vin à l’état brut »[128], elle consent à lui opérer certaine cuvée en partie sans liqueur[129]. Ce revirement est révélateur du tournant qu'il l’aide à négocier. Surtout, A. Hubinet amène la maison Pommery à se concentrer principalement ses efforts sur les vins secs, voire très secs :

 

« […] Comme avec la C.B.167 nous ne pourrions pas faire la concurrence à Roederer et à Clicquot, il faut rester dans les vins secs et nous mettre partout en avant comme tels sans diviser nos forces et avoir deux genres qui se fassent la concurrence[130]. Pour peser les chances de succès que nous avions, je suis allé voir aujourd’hui quelques uns des plus grands clients de Roederer et de Clicquot et je leur ai demandé si beaucoup de consommateurs, buvant les vins susnommés, les trouvaient trop sucrés. On m’a partout répondu : "Oui". »[131]

 

Ce recentrage s’explique non seulement par la concurrence dans les vins riches de maisons solidement implantées, mais également par le succès des vins secs sur le marché anglais en général, des vins secs de la marque Pommery en particulier[132]. A. Hubinet se dit ainsi persuadé que la Maison aura «dans un temps rapproché, la vogue pour les vins secs en Angleterre »[133]. Là encore, l’établissement de la réputation de la marque vient justifier ce recentrage. A. Hubinet l’explique à plusieurs reprises : les vins très secs sont bus par les consommateurs bien posés et connaisseurs, et sont donc susceptibles d’établir la réputation d’une marque[134]. En outre, le vin très sec exige des vins de qualité irréprochable, ce que H. Vasnier souligne dans l’extrait cité ci-dessous[135]. C’est ce qui explique que A. Hubinet incite la maison Pommery à privilégier une logique de qualité au détriment d’une logique de vente[136].

 

Ce recentrage n’est pas sans susciter quelques tensions avec la Maison, qui semble accepter difficilement cette orientation désormais quasi exclusive. Il n’y a peut-être pas meilleure preuve que cette lettre de H. Vasnier, datée de 1871 :

 

« […] Plus vous allez et plus vous poussez aux vins secs, c’est très bien, mais vous nous créez à plaisir des embarras énormes pour l’avenir, attendu que lorsque nous aurons une succession d’années mauvaises et acides, il sera matériellement impossible de satisfaire la clientèle et de lui donner du vin potable, tandis que pour les maisons qui font des vins moins secs et plus dosés, la chute sera moins sensible et moins désagréable. Ce raisonnement vous explique pourquoi les premières maisons n’ont jamais voulu prôner que les vins sucrés et qu’elles ont parfaitement compris qu’elles se fourvoieraient en agissant autrement, et comme en résumé tout ce qu’elles veulent c’est vendre et palper un bénéfice, elles se sont toujours bien gardées d’apprendre à la clientèle à aimer d’autres vins que les vins sucrés fabriqués par elles, et qu’elles savent être en mesure de toujours pouvoir fournir de qualité à peu près égale, et sans transition bien sensible lorsqu’on tombe d’une bonne à une mauvaise année de récolte. Nous n’avons donc aucun intérêt à pousser à outrance les vins secs, nous vous l’avons répété à satiété et nous vous le répétons encore…»[137]

 

Ce passage est révélateur de cette orientation que A. Hubinet veut suivre sur le marché anglais. Cette orientation de la marque vers les vins secs semble plutôt subie qu’elle n’est véritablement choisie par la maison Pommery. Il y a, derrière les propos de H. Vasnier, une grande prudence qui tient en partie au moins au contexte de pénurie dans les récoltes. Il souhaiterait probablement voir les ventes de la Maison  moins dépendantes des vins secs et voir la marque Pommery prendre une orientation plus "généraliste" sur le marché anglais, de sorte qu'elle soit moins exposée en cas de difficultés. Nous ne connaissons pas l’attitude de Mme Pommery concernant ce sujet, mais l’emploi du pronom « nous » à la fin de cet extrait peut nous laisser penser que cet avis est partagé. Deux logiques semblent en tout cas s’affronter ici : une plus audacieuse, défendue par A. Hubinet, et une logique plus "gestionnaire" défendue par H. Vasnier. Cet extrait montre également à quel point la position que défend A. Hubinet se démarque de nombre de ses maisons concurrentes à cette époque. Rares semblent être les maisons qui se sont orientées vers les vins secs, comme la maison Pommery a pu le faire.

 



[1] Etienne M., op. cit., p.109

[2] Cf. chapitre I : Le succès d’une image

[3] C.C.H., p.37 (lettre du 16 février 1863 : « […] Ces Messieurs en savaient autant que moi sur la fabrication des vins de Champagne, même beaucoup plus que moi sur ce qui a rapport aux champagnes consommés à Londres.»), p.55-56 (lettre datée du 10 décembre 1865 : « […] Quoi que vous en pensiez, le haut commerce de ce pays est très éclairé, la concurrence dans nos affaires y est très active)   

[4] Il ne s’agit pas d’un contrôle total. La maison Pommery sollicite également, à ses débuts, les particuliers. A. Hubinet fait référence également aux maisons de vin de Champagne ou du Rhin qui sollicitent les particuliers quand elles n’ont pas réussi à percer avec les négociants, ce qui montre d’ailleurs que ces négociants jouent un rôle clé.

[5] Etienne M., op. cit., p.108 : « Leur organisation en une sorte de "corporation" plus ou moins fermée leur permettait de tenir la dragée haute aux vendeurs champenois. ». Leur influence n’a vraisemblablement pas été remise en cause au cours du XIXème siècle.

[6] Il s'agit d'un particulier.

[7] C.C.H., p.57 -  lettre datée du 1er janvier 1866  

[8] C.C.H., p.22 - lettre du 4 septembre 1861

[9] C.C.H., pp.49-50 -  lettre datée du 11 septembre 1864  

[10] C.C.H., p.63 -  lettre datée du 6 mai 1867 

[11] Lettre adressée à G. Van Loo datée du 30 novembre 1859 (26, 128) : « […] Delvaux a de toutes les marques et donne celle qu’on lui demande plus particulièrement comme tous les autres négociants en vins de la Belgique. ». Il est évident, dans ces conditions, qu’il ne fait pas compter sur ces négociants pour établir une marque, en faire le succès.

 

[12] C.C.H., p.29 -  lettre datée du 22 mars 1862 : « […] les premières difficultés sont les plus difficiles à surmonter, mais quand quelques grandes maisons voudront bien nous donner un coup d’essai, l’affaire ira toute seule.»

[13] C.C.H., p.27-28 -  lettre datée du 11 janvier 1862 : « […] [notre] succès ne serait que de courte durée, soyez en persuadée, si nous n’adhérions pas à la stricte politique suivante : avoir des conditions uniques pour tous et accorder aux grands acheteurs une réduction fixe pour une quantité déterminée. On se concilie ainsi les grands acheteurs qui font la loi. »

[14] C.C.H., p.5 (lettre de la Maison datée du 30 janvier 1861) - Lettre adressée à A. Hubinet datée du 1er mai 1862 (377, 312) 

[15] Lettre adressée à A. Hubinet datée d’avril 1862 (377, 224)

[16] C.C.H., p.35 -  lettre datée du 29 janvier 1863 

[17] Cf. supra : Une certaine anglophobie

[18] C.C.H., p.53-54 -  lettre datée du 28 octobre 1865

[19] Cf. chapitre III : Une conception du champagne en jeu

[20] Elle n'est pas de notre fait. Nous retrouvons à plusieurs reprises la référence au "vin anglais" ou au "goût anglais".

[21] C.C.H., p.38 (lettre datée du 12 mars 1863 : « […] Excepté à Liverpool et à Newcastle, partout, dans le nord de l’Angleterre, le goût prédominant est au Clicquot et au Roederer.»), p.57 (lettre datée du 23 mars 1866 : « […] Manchester où le Roederer a un vrai monopole. »)

[22] Cf. chapitre III : Une conception du champagne en jeu

[23] Cf. chapitre I : Les principaux marchés

[24] C.C.H., p.58 -  lettre datée du 26 avril 1866 : « […] Comme vous pouvez en juger par mes demandes de vins sans liqueur, le goût sec est poussé à l’extrême. Perrier-Jouët expédie de très bons vins sans liqueur et à 2, 4 et 6% de liqueur. Cette maison a beaucoup de succès. ». A la fin des années 1840, il semble qu’un "wine merchant" a demandé, pour la première fois, un vin sans liqueur à la maison Perrier-Jouët, mais ce vin n’a alors pas été apprécié (cf. Devroey J.P., op. cit., pp.82-83)

[25] C.C.H., p.24 (lettre datée du 27 novembre 1861) - Voir également p.36 (lettre datée du 15 février 1863 : «[…] Ces sorte de vins sont très à la ode maintenant. Ils sont opérés à 4% de liqueur et sont moelleux. Ces vins ne sont pas considérés comme 1st class, mais parce qu’ils sont très secs, ils ont la préférence sur les vins riches. »)  

[26] C.C.H., p.50 (lettre datée du 12 février 1865)

[27] C.C.H., p.36 (lettre datée du 15 février 1863)

[28] C.C.H., p. 41 (lettre datée du 10 mai 1863 : «  […] Irroy se fait jour à Londres avec des vins sans liqueur.»)

[29] C.C.H., p.53-54 -  lettre datée du 28 octobre 1865 

[30] C.C.H., p.64 -  lettre datée du 11 mai 1867

[31] C.C.H., p.76  (lettre datée du 8 mai 1871 : « […] le 183/4 [cuvée 183 dosée à 4%] ne vous en fera presque pas parce qu’il sera bu par des consommateurs moins bien posés et  moins connaisseurs que ceux qui boiront le 183/2.»), p.83 (lettre du 23 novembre 1871: « […] les grandes maisons de Londres, Dublin, Edinburgh, dont les clientèles sont distinguées n’achètent que des vins secs. »)

[32] C.C.H., p.26-27 (lettre datée du 3 janvier 1862 : « […] L’année 1862 ne s’annonce pas sous les plus favorables auspices. La mort récente du Prince Albert coupera court aux fêtes de a saison, l’aristocratie devra, par convenance, mener une vie retirée. La continuation de cette guerre en Amérique affecte de plus en plus les classes commerciales et industrielles.») et p.37 (lettre du 21 février 1863 : « […] Les affaires ont été très calmes à Londres. Tout le monde se plaint et on attend impatiemment le mariage du Prince de Galles qui sera, je l’espère, le signal d’orgies dans tout le Royaume.»)

[33] C.C.H., p.36 ( lettre du 15 février 1863 : « […] Il n’y a encore à Londres que les membres du Parlement et il paraît qu’à tous leurs clubs ils boivent un champagne blanc, très sec à raison de 4/- [shilling] la bouteille (en détail au club). Ces sortes de vins sont très à la mode maintenant. ») et p.47 ( lettre du 18 septembre 1863 : « […] A Londres, le goût s’attache de plus en plus aux vins très secs… » )

[34] C.C.H., p.55-56 -  lettre datée du 10 décembre 1865   

[35] Cf. infra : L’influence des "wine merchant"

[36] C.C.H., p.89 -  lettre datée du 13 mai 1874

[37] C.C.H., p.55-56 -  lettre datée du 10 décembre 1865

[38] C.C.H., p.55-56 -  lettre datée du 10 décembre 1865

[39] J.P. Devroey a également mis en évidence cette exigence, d’après la correspondance de la maison Perrier-Jouët. Il souligne la différence entre le marché anglais et les clients français par exemple, qui commandent « du champagne », sans jamais parler de dosage, alors que certains Anglais n’achètent jamais « un nouvel approvisionnement sans le déguster contre la dernière bouteille qui leur reste de l’approvisionnement précédent ». De manière générale, « la clientèle britannique, précise J.P. Devroey, bien informée, insiste sur la continuité dans le goût et la nature des vins et donne ses exigences en matière de cuvée, de couleur et d’opération. » (Devroey J.P., op. cit., pp.76-77)

[40] C.C.H., p.49-50 -  lettre datée du 11 septembre 1864 : « […] Ces maisons ont commencé à soumettre leur 1861 à la fin de l’an dernier, elles ont eu le temps de modifier leurs opérations et depuis le printemps ont fait réserver ces vins par la majeure partie des grandes maisons de Londres. » 

[41] C.C.H., p.35 (lettre datée du 29 janvier 1863 : « […] La maison la plus importante a dégusté la C.B. en comparaison d’un vin de 1857 de Ruinart […]. J’ai dû m’avouer battu, car la maison prononce son Ruinart "the best wine they ever had". »), p.38 (lettre du 23 mars 1863 : « […] Robert Little, qui est un amateur passionné du Perrier-Jouët, l’a comparé avec notre C.B. sec…») et p.55-56 (lettre du 10 décembre  1865)

[42] C.C.H., p.38 -  lettre datée du 23 mars 1863 : « […] Avant de quitter Liverpool, j’ai délivré 17 bouteilles de C.B. entre 8 bonnes maisons. Ce vin est maintenant en bonne condition, et comme ces dégustations sont toujours faites entre négociants ou par un cercle de consommateurs, elles contribueront beaucoup à nous faire connaître.»)

[43] Cf. chapitre III : Une conception du champagne en jeu

[44] C.C.H., p.24 - lettre du 27 novembre 1861: il qualifie le goût anglais de « vicié », goût qu’il oppose aux vin fruités de la Maison.

[45] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 27 juillet 1864 (45, 441)

[46] Lettres adressées à A. Hubinet datées des 7 et 13 mai 1861 (34, 23 et 120), du 22 septembre 1864 (35,128) 

[47] Lettre adressée à A. Hubinet datée de mars 1862 (377, 268)

[48] C.C.H., p.24 (lettre datée du 11 novembre 1861) - Voir également lettre du 27 novembre 1861

[49] C.C.H., p.27-28 -  lettre datée du 11 janvier 1862 

[50] C.C.H., p24-25 -  lettre datée du 27 novembre 1861 

[51] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 21 mars 1862 (377,111)

[52] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 22 mai 1862 (377, 449)

[53] Cf. chapitre III : La revendication d’un cachet propre

[54] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 19 avril 1863 (378, 298 : il fait référence aux maisons Clicquot et Roederer, où « le sirop est dominant ») - Voir également lettres datées du 7 avril 1863 (378, 214 : la Maison demande à A. Hubinet « d’imposer le produit tel quel avec son cachet particulier », et non copier Roederer ou changer perpétuellement le dosage), d’août 1863 (?, 443), du 9 octobre 1863 (?, 92)

[55] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 22 mai 1862 (377, 449)

[56] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 29 janvier 1862 (36, ?) - Voir également lettres du 31 janvier 1862 (36, ? : H. Vasnier lui dit que la Maison ne tient à « changer sans arrêt d’opération »)

[57] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 23 mai 1861 (34, 120)

[58] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 15 février 1862 (36, 440)

[59] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 8 juin 1863 (?,31) : dans cette lettre, H. Vasnier critique les « tripotages honteux » auxquels se livrent les maisons Perrier-Jouët et Bollinger, précisant que « tout le monde [le] sait en Champagne, mais [que] le commerce anglais ne veut rien en croire. »

[60] Lettre adressée à Hubinet datée de mai 1872 (385, 215)

[61] Lettre adressée à A. Hubinet datée de mars 1863 (378, 131) : la Maison insiste sur la nécessité de solliciter régulièrement les clients pour recouvrer les créances ; il faut « bien habituer les clients ».

[62] Lettre adressée à Hubinet datée de mai 1872 (385, 156)

[63] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 21 décembre 1872 (?, 172) : « […] C’est au négociant acheteur qu’incombe le soin de laisser mûrir le vin dans sa cave s’il veut contenter sa clientèle et non dans la nôtre, c’est comme cela que cela se passe pour les Bordeaux et les Bourgognes, il n’y a pas de motif pour que le Champagne fasse exception. »

[64] Lettre adressée à Hubinet datée de mai 1872 (385, 215) : d’après cette lettre, A. Hubinet a réussi avec le temps à faire adopter ce système de traite.

[65] Lettre adressée à A. Hubinet datée de février 1873 (387, 77)

[66] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 22 septembre 1864 (46, 128 : « […] lorsque les préventions existant toujours contre une nouvelle marque sur le marché sera tombée, vous verrez qu’on nous rendra justice.») - Voir également C.C.H., p.63 (lettre datée du 6 mai 1867 : « […] Quoique nouvelle Marque, nous jouissions de presque autant de considération que les Marques les mieux connues… »)

[67] C.C.H., p.9 -  lettre datée du 24 mars 1861

[68] Devroey J.P., op. cit., pp.74-75 : l’auteur nous précise que le deuxième quart du XIXème siècle est marqué par la décadence rapide des restaurants d’hôtel londoniens et l’expansion à un rythme aussi accentué du système des clubs, où le champagne devient le compagnon presque obligatoire du gentleman solitaire.

[69] C.C.H., p. 22 (lettre du 4 septembre 1861: « […] Nos prix élevés ne me permettent de voir que les maisons les plus importantes…»), p.28 (lettre du 15 janvier 1862 : « […] Il y a environ 1200 négociants en vins à Londres. Il n’en est pas beaucoup plus du dixième qui valent la peine d’être visités. »)

[70] C.C.H., p.29 -  lettre datée du 22 mars 1862 

[71] C.C.H., p.29 - lettre du 1er avril 1862 : « […] Dans des circonstances aussi défavorables, il m’est presque impossible de faire accepter le prix de la C.B. et ce n’est qu’avec cette qualité que nous puissions faire brèche. A l’exception de Roederer, nos prix sont plus élevés que ceux de toutes les autres maisons. »

[72] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 21 novembre 1864 (46, ?) : la Maison critique le prix de vente de la Carte Blanche, « bradée », or elle ne peut « se résoudre à vendre sans profit ».

[73] Cf. chapitre III : L’orientation vers la qualité

[74] C.C.H., p.27 -  lettre datée du 11 janvier 1862 : « […] Vous avez un vin que nous pouvons appeler, entre nous, le meilleur que l’on puisse trouver ici ; il est destiné à beaucoup de succès…» 

[75] C.C.H., p.9 -  lettre datée du 26 mars 1861 : « […] Plus de 10 maisons du West End m’ont demandé à goûter le Crémant ou le Verzenay. Il y a des affaires à faire dans ces deux qualités. Il y a très peu de champagne équivalent sur le marché. Il n’y a rien à faire pour le moment en qualités inférieures, c.à.d. Sillery et Bouzy. La place en est remplie. »

[76] Cf. chapitre III : Un recentrage sur les vins de qualité supérieure

[77] Cf. infra : Un marché exigeant

[78] C.C.H., p.9 - lettre datée du 24 mars 1861: A. Hubinet y sollicite une maison qui prétende « représenter le goût des clubistes du West End.»

[79] C.C.H., p.50-51 -  lettre datée du 5 mars 1865  

[80] C’est du moins le discours que H. Vasnier tient à A. Hubinet dans la lettre où il lui annonce que la Maison consent à cette stratégie (lettre adressée à A. Hubinet datée du 11 mars 1865 - 47, 453).

[81] C.C.H., p.12 (lettre datée du 1er mai 1861) -  Voir également p.9 (lettre datée du 26 mars 1861 : « […] Je vois de plus en plus qu’ici, à Londres, le goût presque général est aux vins excessivement secs. Je désirerais avoir aussitôt que possible mes échantillons de Verzenay très sec et aussi des échantillons de Crémant plus sec que ceux que m’a remis M. Kniep. Perrier a eu un succès immense avec ses vins de 1857. »)

[82] C.C.H., p.24 (lettre datée du 27 novembre 1871) 

[83] C.C.H., p.9 (lettre datée du 24 mars 1861 : « […] Voici leur opinion : le premier, trop sucré, trop de liqueur. Le second, trop sucré, pas assez d’âge. Le troisième, trop sucré, trop lourd. Ils reconnaissent pourtant que la nature du vin est très riche. Ils prétendent représenter le goût des clubistes du West End. D’autres, bien entendu, trouvent le vin excellent. »), C.C.H., p.24 (lettres datées des 11 et 27 novembre 1861)

[84] C.C.H., p.12 (lettre datée du 1er mai 1861 : « Je puis résumer comme suit, Madame, les différents opinions qui ont été émises sur le Verzenay et le Crémant de votre dernier envoi : bouquet délicieux - beaucoup de vinosité - un peu d’acidité qu’il faudra absolument éviter - pas assez fait, et pour cela n’en veulent à aucun prix. »), C.C.H., p.24 (lettre datée du 11 novembre 1861 : « […] notre vin a été trouvé plus délicat mais moins riche et trop sucré. »)

[85] C.C.H., p.47 -  lettre datée du 18 septembre 1863 

[86] Cf. infra : Le "goût anglais"

[87] C.C.H., p.37 -  lettre datée du 16 février 1863

[88] C.C.H., p.53 -  lettre datée du 21 octobre 1865 : « […] Il nous faut à présent trois opérations de C.B. mais je vais surtout pousser à la vente de C.B.F. et de la C.B.A. à 6%. J’espère bien pouvoir supprimer l’opération intermédiaire d’ici deux ans. »  

[89] Cf. chapitre II : Assurer le développement de la marque

[90] C.C.H., p.32 (lettre datée du 7 septembre 1862) - Voir également p.24 (lettre datée du 11 septembre 1861 : « […] Les autres maisons ont fait emplettes à peu près à la même époque d’une grande quantité de drogues à prix élevés, de Ruinart, Montebello etc… marques qu’il nous sera bien facile de battre quand nous aurons des vins plus secs, assez vieux opérés pour qu’ils se boivent plus ronds et quand nous nous présenterons en temps propice. » ) 

[91] De Polignac A., op. cit., p.38 -  H. Vasnier évoque également cette spécificité des vins destinés au marché anglais (C.C.H., p.77 - lettre adressée à A. Hubinet datée du 14 juin 1871 : « […] Du reste, la dose de 2% est tellement insignifiante qu’on peut en quelque sorte s’imaginer que l’on absorbe du vin brut et le temps seul peut lui donner ce moelleux et cette rondeur que l’absence de liqueur ne peut lui donner. » ) 

[92] Cf. infra : Des contraintes propres au marché anglais

[93] Carte Blanche cachet Anglais "Dry" (Sec) - cuvée 157

[94] C.C.H., p.63 -  lettre datée du 6 avril 1867 

[95] C.C.H., p.40 -  lettre datée du 11 avril 63 : « Je suis enchanté d’apprendre que vous travaillez ferme à avoir des vins faits longtemps à l’avance ; c’est là le grand point. Employez-y pour y arriver tous les moyens possibles… »   

[96] C.C.H., p.43 (lettre du 6 juin 1863), p.50-51 (lettres du 12 février et du 6 mars 1865), p.51 (lettre datée du 5 avril 1865 : « […] Je maintiens ce que je n’ai jamais cessé de vous répéter depuis trois ans qu’il me serait plus facile d’obtenir de grands prix pour des vins vieux opérés que des prix réduits pour les meilleurs vins du monde nouvellement opérés. »), p.58 (lettre du 21 avril 1866 : « […] Depuis que je suis à Londres, je n’ai jamais eu les moyens de profiter de la saison pour y bien introduire nos vins. Je ne puis le faire qu’avec un grand stock de vins très secs prêts à boire. […]  J’ai presque l’intention de ne plus rien offrir en fait de vins secs d’ici à la fin de l’année. Ce serait renoncer au West End pour un an. Mais cela me paraît nécessaire pour ne pas gâcher deux saisons.»), p.59 (lettre du 9 juin 1866)

[97] C.C.H., p.49-50 -  lettre datée du 11 septembre 1864 

[98] C.C.H., p. 50 - lettre du 12 février 1865 : « […] Vous êtes d’une lenteur extrême dans vos expéditions ; deux ordres de demies C.B. m’ont été supprimés ces jours derniers. Ce qui est vexant, ce n’est pas la perte qui en résulte, c’est l’avantage que cela donne à la concurrence.»

[99] C.C.H., p.57 -  lettre datée du 1er janvier 1866 : « […] Il faut décidément que nous prenions une décision à l’égard du Bureau de Paris. Nos concurrents représentent au Commerce anglais que nous y faisons le détail avec l’Angleterre et même que le Bureau de Paris réfère au Bureau de Londres (à cause de l’adresse peinte sur la porte). Je puis vos citer plusieurs cas dans lesquels vous avez expédié des vins directement à des particuliers de Londres. Il faudrait que toutes les demandes de vins faites par des Anglais résidant en Angleterre ou dans les Colonies Anglaises me fussent soumises. Je verrai s’il y a du danger à expédier directement, et dans presque tous les cas, le suis sûr que je réussirais à les faire acheter nos vins par l’intermédiaire de leurs fournisseurs ordinaires ; cela nous créerait des nouveaux clients et produirait un excellent effet sur le commerce en général, car ces choses-là se répètent… »

[100] C.C.H., pp.53-54 (lettre datée du 23 octobre 1865), p.61 (lettre datée du 11 janvier 1867) 

[101] C.C.H., p.84 -  lettre datée du 10 mars 1872   

[102] C.C.H., p.75 -  lettre datée du 12 mars 1871

[103] C.C.H., p.65 (lettre datée du 29 juin 1867 : « […] Il est fâcheux que nous n’ayons pas de vin ; le mois prochain, je me ferais fort de placer 15.000 bouteilles à Londres. »), p.68 (lettre datée du 27 novembre 1867 : « [...] Encore une fois, pourquoi n’avons-nous pas fait 300.000 bouteilles de 163 ? Nous aurions donné beaucoup de fil à retordre aux autres maisons de champagne, je vous l’assure…»)

[104] H.M.P., p.40 : l'auteur y rapporte que Mme Pommery a informé A. Hubinet que la Maison mettra à sa disposition 163.000 bouteilles pour vendre sur le marché anglais. Il ajoute que « c'est la première fois qu'uns cuvée aussi considérable est réservée à un seul agent. »

[105] Cf. chapitre VII : La spectaculaire progression des ventes de la maison Pommery

[106] C.C.H., p.67 -  lettre datée du 15 septembre 1867 : « […] Quand nous aurons enfin des vins qui pourront être suivis pendant quelques temps, le nombre de ces échantillons diminuera considérablement. Exemple la cuvée 163. Combien peu d’échantillons en proportion de la quantité. Prenez l'exemple de Perrier-Jouët. Toutes grandes cuvées. Je suis persuadé que la vente de 100.000 bouteilles ne leur demande pas le sacrifice de 50 échantillons. »

[107] C.C.H., p.63 -  lettre datée du 6 avril 1867

[108] Nous avons déjà précédemment souligné que l’année 1865 a produit des cuvées exceptionnelles en Champagne.

[109] Cf. chapitre VII : Une volonté de diversifier les débouchés

[110] C.C.H., p.68 - lettre datée du 27 novembre 1867 : « [...] Encore une fois, pourquoi n’avons-nous pas fait 300.000 bouteilles de 163 ? Nous aurions donné beaucoup de fil à retordre aux autres maisons de champagne, je vous l’assure…»

[111] C.C.H., p.82 (lettre du 11 novembre 1871 : « […] Si vous m’aviez bien secondé, nous ferions quatre fois le chiffre d’affaires que nous faisons actuellement, et je vous aurais peut-être fait l’Amérique par-dessus le marché.»), p.87 (lettre datée du 14 novembre 1872 : « […] Cela fera faire des comparaisons qui tourneront toutes à nos dépens, et votre réputation sera à refaire pour la 2 ou 3ème fois. Ce n’est pourtant pas ma faute si votre stock n’est jamais à la hauteur de la situation. Nous aurions pu vendre 200.000 bouteilles de plus de 1868 et conserver notre bonne réputation et notre clientèle.» ), pp.88-89 (lettre du 23 octobre 1873)

[112] C.C.H., p.85 -  lettre datée du 16 septembre 1872 

[113] C.C.H., p.86 -  lettre datée du 18 septembre 1873  

[114] C.C.H., p.88 -  lettre datée du 20 octobre 1873 : « […] Cependant, d’après ce que m’ont dit tous les clients que j’ai vus dernièrement, nos vins sont déjà presque impossibles à vendre à nos prix actuels, et dans beaucoup de cas, les consommateurs nous quittent pour acheter des marques un peu meilleur marché. Je suis sûr que nos vieux clients vendront beaucoup moins de nos vins, mais vu la popularité que nous avons acquise, nous accroîtrons notre clientèle et je vous garantis que comme quantité vous pouvez marcher de l’avant. Nous pourrions doubler nos affaires… »

[115] C.C.H., p.83 -  lettre datée du 23 novembre 1871 : « […] Après quelques années d’une telle politique, nous sommes sûrs de commander au marché ; on se disputera nos bonnes cuvées et au lieu d’en passer par toutes les conditions des négociants, nous dicterons les nôtres ! » 

[116] Cf. chapitre III : Une certaine idée du champagne

[117] C.C.H., p.33 -  lettre datée du 23 octobre 1865 : « […] il finirait par nuire à la réputation de délicatesse et d’élégance que nous avons déjà acquise.»  

[118] C.C.H., p.66 -  lettre datée du 15 septembre 1867 : « […] Le 167 ne plaît à personne ; on ne le trouve pas délicat ; on me dit avec raison qu’il diffère complètement de notre "ordinary style". »  

[119] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 11 mars 1872 (81, 114)  - Voir également, concernant la cuvée 1873, les lettres datées des 7 et 21 novembre 1874 (389, 135 et 235) et du 3 avril 1875 (391, 93)

[120] C.C.H., p.33 -  lettre datée du 23 octobre 1865  

[121] H.M.P., p.40 - lettres adressées à A. Hubinet datées des 4 mai (« […] Nous vous prions de vouloir bien vous en rapporter à nous, attendu que si nous vous reconnaissons habile à la vente, nous nous croyons infiniment plus capables que vous de les opérer à la dose qui leur convient plus particulièrement. ») et 20 mai 1867

[122] C.C.H., p.70 -  lettre datée du 27 février 1868  

[123] C.C.H., p.76  (lettre datée du 8 mai 1871 : « […] Si vous aviez du courage, vous opéreriez toute le cuvée 183 à 2% […] Le 183/2 est un vin magnifique ; le 183/3 est un vin gâté par la liqueur. […]Le 183/2 vous fera beaucoup de réputation ; le 183/4 ne vous en fera presque pas parce qu’il sera bu par des consommateurs moins bien posés et  moins connaisseurs que ceux qui boiront le 183/2.»), p.77 (lettre datée du 8 juin 1871 : « […] En supposant que le 183/2 soir vraiment raide, que toutes les bouteilles soient dures, raides, il ne tardera pas trop longtemps à devenir moelleux et ce sera un vin hors ligne dont on parlera longtemps. Si nous l’opérons à plus de 2%, il sera plus vite prêt à boire, mais il sera moins grand, moins franc, moins fin. »)

[124] Cf. infra : Un manque de moyens ?

[125] C.C.H., p.83 -  lettre datée du 23 novembre 1871 

[126] Lettre adressée à A. Hubinet datée de mai 1872 (385, 215) : « […] continuer nos sacrifices […] en vue de produire des vins exceptionnels qui puissent défier victorieusement toute concurrence, point capital pour arriver au premier rang et n’en pas déchoir. »

[127] C.C.H., p.75 (lettre datée du 12 mars 1871 : « […] Nous avons souvent parlé des inconvénients qui résultaient de l’achat de cuvées. Une chose pire encore est d’en faire, pour l’Angleterre, dans les années qui ne sont pas tout à fait réussies. Les années médiocres font faire un recul considérable à la Marque. ») 

[128] Cf. infra : La vision du marché anglais développée par la maison Pommery

[129] C.C.H., p.54 -  lettre datée du 18 novembre 1865  

[130] En marge de cette lettre, A. Floquet précise qu’il a relevé une annotation de la main de H. Vasnier : "Très juste".

[131] C.C.H., p.68 -  lettre datée du 28 novembre 1867 

[132] C.C.H., p.81 -  lettre datée du 30 octobre 1871 : « […] nous aurons le mérite d’être plu secs que tous nos concurrent, ce qui constituera une spécialité plus marquée. Nous en recueillerons les fruits pour l’avenir…»  

[133] C.C.H., p.69 -  lettre adressée à Mme Pommery datée du 28 décembre 1867.  

[134] C.C.H., p.76  (lettre datée du 8 mai 1871 : « […] Si vous aviez du courage, vous opéreriez toute le cuvée 183 à 2% […] Le 183/2 est un vin magnifique ; le 183/3 est un vin gâté par la liqueur. […]Le 183/2 vous fera beaucoup de réputation ; le 183/4 ne vous en fera presque pas parce qu’il sera bu par des consommateurs moins bien posés et  moins connaisseurs que ceux qui boiront le 183/2.»), pp.81-82 (lettre du 11 novembre 1871 : « […] Tant que vous ne me ferez pas plus de vin dans les grandes années, je ne pourrai les vendre qu’en Extra-Sec, car il faut d’abord servir les maisons de premier ordre qui nous prennent cette marque…»), p.83 (lettre du 23 novembre 1871) 

[135] Voir également C.C.H., p.88 -  lettre datée du 23 octobre 1873 : « […] Nous voilà presque sans 194, c’est-à-dire sans vin propre à faire de l’Extra-Sec. La cuvée 200, même à 5 1/2% pourrait faire du tort à la marque Extra-Sec qui n’est bue que par des connaisseurs.» 

[136] Cf. infra : Un manque de moyens ?

[137] C.C.H., p.77 (lettre de H. Vasnier adressée à A. Hubinet datée du 14 juin 1871) - Voir également C.C.H., p.83 (lettre du 23 novembre 1871: « […] Vous me répétez pour la centième fois qu’il est de mauvaise politique de pousser aux vins très secs. Je vous répond de nouveau que les grandes maisons de Londres, Dublin, Edinburgh, dont les clientèles sont distinguées n’achètent que des vins secs. ». La remarque de Hubinet nous montre que cet échange de point de vue avec la Maison est récurrent, ce qui nous prouve combien ses difficultés à accepter cette orientation.

  

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