DD - DORE DORE

 

Doré-Doré, l’industrie au village

 

 

 

Lorsqu’André Doré reprend les rênes de l’entreprise familiale au début du XXe siècle, la production est toujours réalisée dans des ateliers dispersés autour de Fontaine-les-Grès, organisation qui va durer bien après sa disparition au début des années 1960.

 

Jean-Baptiste Doré, un messager devenu bonnetier

Au début du XIXe siècle,  la bonneterie apporte un complément de revenu aux cultivateurs de Champagne pouilleuse. Chaque vendredi, l’artisan paysan vient vendre sa production à Troyes et acheter la matière première nécessaire à la fabrication.
En 1819, Jean-Baptiste Doré (1778-1863), artisan aux Grès, lieu-dit du hameau de Fontaine Saint-Georges (3), propose à ses voisins d’être leur messager, c’est-à-dire de leur éviter des déplacements en s’occupant pour eux des ventes de produits et des achats de fils. Ni filateur, ni mécanicien, il accumule le capital dans le négoce : distribution du travail textile dans les campagnes, où le tissage côtoie la bonneterie jusqu’en 1810-1820, et commercialisation de cette production artisanale.
Son frère Laurent Doré (1796-1881) lui succède en 1835. Il regroupe des ouvriers dans une petite structure et crée également des ateliers familiaux dans les communes voisines. En 1844, il s’associe avec son gendre Élie Doré, puis avec ses beaux-frères Jules et Gaston Doré. La marque DD (Doré-Doré) est créée en 1862 par Élie Doré qui, épousant une cousine germaine du même nom, décide d’accoler leurs deux patronymes. Il dirige l’entreprise jusqu’en 1881. Philippe Gustave Saint-Ange Doré, puis André Doré (1908-1958) lui succèdent. 
La société demeure spécialisée dans le chaussant, bas et chaussettes. L’essor de l’usine de Fontaine, agrandie en 1890, puis entre 1907 et 1914, n’empêche pas le maintien du réseau de fabricants à domicile auxquels elle fournit la matière première, les machines et parfois des financements.  Avant le premier conflit mondial, elle emploie 1 000 personnes, dont 325 travaillent dans l’usine mère.

 

 

Entrée originelle de l’usine Doré-Doré
(Cl. J.-L. Humbert, mars 2010)

 

 

Sheds XIXe de l’usine Doré-Doré
(Cl. J.-L. Humbert, juin 2009)

 

 

Le service des expéditions vers 1900
(Coll. particulière)

 

La sortie des employés vers 1900
(Coll. particulière)

 

 

 

Un travail à domicile surtout

 

Après la Grande Guerre, André Doré impose l’emploi systématique de la publicité sur les lieux de vente (PLV) et sur les panneaux d’affichage des villes. La première campagne nationale d’affichage est réalisée en 1933 avec les petits marins dessinés par Gad. Ils seront utilisés jusqu’au début des années 1970, marquant profondément les consommateurs. Les slogans misent sur l’élégance, le confort, la solidité. L’image de DD se construit à cette époque en diffusant un produit classique et de qualité qui n’exclut pas le lancement de produits nouveaux : chaussette de tennis, chaussette pour vélocipédiste, socquette. En 1926, le dépôt de la marque “DD International” confirme que  l’entreprise  possède désormais une réputation mondiale.

 

 

Les petits marins DD, réclame des années 1930
(Coll. particulière)

     

 

Les petits marins DD
(Coll. particulière)

     

 

Réclame DD (1940)
(Coll. particulière)

 

L’organisation du travail n’y évolue pas fondamentalement au fil des décennies. En 1924, un journaliste de L’Illustration  témoigne : la Maison Doré-Doré, « est l’une des plus anciennes fabriques de bonneterie du département de l’Aube.(...) Elle s’est toujours spécialisée dans une fabrication très soignée d’articles de bonneterie, tels que bas et chaussettes, dont les nouveautés rivalisent avec la qualité. C’est une des rares maisons qui ait conservé, grâce à ses “ateliers familiaux” les anciennes méthodes de fabrication sur “petit métier”. En effet, à côté de la fabrication sur métier moderne à grande production, il existe encore une spécialité de très belle bonneterie, fabriquée sur des métiers à production très lente, dits “petits métiers”. (...). C’est ce matériel qu’utilise la maison Doré-Doré dans les nombreux petits ateliers qu’elle a répartis dans les différents centres de l’Aube, et jusque dans les plus humbles villages.
En général, toute la famille est occupée aux différentes phases de la fabrication : bobinage, rebroussage et tissage ; de plus, quand cet atelier familial atteint une certaine importance, ces petits métiers, Hollandais, Linard ou Auroy, sont mus mécaniquement au moyen d’un moteur à essence. La fabrication de ces articles supérieurs occupe également un grand nombre d’ouvrières à domicile, soit au remmaillage, à la couture ou à la broderie. Ces ouvrières, les unes sans cesser de prodiguer leurs soins à leurs enfants et à leur ménage, les autres, pour occuper les longues veillées d’hiver, trouvent ainsi un travail facile leur permettant d’améliorer la situation budgétaire de la famille.
Nous nous sommes fait un devoir de signaler tout spécialement à nos lecteurs une forme d’industrie aussi intéressante, et dont le but social ne leur échappera pas. Ce sont ces anciennes méthodes de fabrication, conservées avec un soin jaloux, et perfectionnées sans cesse, qui ont valu, à juste titre, à la marque DD sa réputation universelle ».
En 1931, André Doré présentant son entreprise devant la Société d’études et d’applications sanitaires de l’Aube, ne dit pas autre chose. « En 1930, l’entreprise comprend la maison principale des Grès, ou siège, et des ateliers de famille disséminés dans le département. Elle emploie aux Grès  325 personnes des deux sexes principalement  occupées dans les bureaux pour la direction, la correspondance, la comptabilité ; dans les magasins de matières premières ; dans les ateliers d’apprêt, les services d’expédition, ou les équipes de construction et d’entretien. Ces employés habitent les Grès et les communes avoisinantes.
La fabrication est entièrement faite à domicile, dans de petits ateliers dont la plus grande partie revêt le caractère d’ateliers familiaux. Les demandes d’embauchage étant très nombreuses, les candidats sont toujours inscrits longtemps à l’avance, souvent pendant plusieurs mois, et même plusieurs années avant leur entrée à la maison. Le matériel  appartient à Doré-Doré. L’ouvrier recrute librement son personnel. Il travaille aux pièces. Les voitures de l’entreprise passent à jours réguliers chez lui pour lui apporter les matières premières et reprendre les marchandises fabriquées. Les contremaîtres chargés spécialement de la surveillance de ces ateliers passent fréquemment pour surveiller la qualité de la marchandise produite et la bonne tenue de l’atelier et du matériel.

 

 

Ateliers Doré-Doré, avenue Maréchal Foch
(Cl. J.-L. Humbert, mars 2010)

 

Arrière des ateliers Doré-Doré, avenue Maréchal Foch
(Cl. J.-L. Humbert, mars 2010)

 

 

En dehors de ces petits ateliers, la finition (remaillage, couture, broderie) est également faite à domicile par des femmes de cultivateurs ou d’artisans. La plupart du temps, des voitures de la maison passent régulièrement pour leur apporter l’ouvrage, et reprendre ce qui est fait. Elles servent également chaque jour à prendre, le matin à leur domicile, les employés du dehors et à les reconduire le soir. En outre, ces voitures sont mises à la disposition du personnel pour des courses urgentes ».
En 1950, Pierre Fort, instituteur aux Grès et auteur d’une brochure pédagogique consacrée à la bonneterie, confirme la persistance du travail à domicile. « Malgré la concurrence des grandes usines de Troyes, la fabrique Doré  conserve de nombreux ateliers familiaux, dispersés dans toutes les communes autour de Fontaine-les-Grès, à Troyes, et jusqu’à Bar-sur-Aube. Dans ces ateliers travaillent les façonniers qui fabriquent bas, chaussettes, socquettes. Ces ouvriers possèdent ou louent leur logement et leur atelier ; la maison Doré leur confie les machines. Des camions de l’usine des Grès desservent régulièrement ces petits ateliers pour leur livrer les matières textiles, collecter les articles fabriqués  et dépanner... La finition du travail se fait à l’usine des Grès.

 

 

Produits fabriqués par DD
(P. Fort, “La bonneterie”, Bibliothèque de travail, n° 108, 1950, p. 32, Coll. MAHÉ, Troyes)

 

Un façonnier de Doré-Doré et ses métiers au début des années 1950
(P. Fort, “La bonneterie”,
Bibliothèque de travail, n° 108, 1950, p. 5, Coll. MAHÉ, Troyes)

 

Une couseuse au travail chez
Doré-Doré en 1950
(P. Fort, “La bonneterie”, Bibliothèque de travail,
n° 108, 1950, p. 16, Coll. MAHÉ, Troyes)

 

L’usine des Grès demeure  le siège principal de l’entreprise. On  y trouve les bureaux de la direction, les laboratoires d’études de matières textiles, les magasins à matières premières (laine, coton (4), etc.), des ateliers : remmaillage, couture, forme, apprêt ; les magasins de produits fabriqués,  les services de comptabilité, de réception, d’expédition ; le magasin central et ses réserves,  les ateliers de mécanique, de menuiserie ; la salle des machines électriques,  le service des œuvres sociales, le dispensaire.

 

 

L’usine Doré-Doré aux Grès (années 1950)
(Coll. particulière)

 

Ateliers mécaniques, boulevard Doré
(Cl. J.-L. Humbert, mars 2010)

 

 

 

Ateliers mécaniques, boulevard Doré
(Cl. J.-L. Humbert, mars 2010)

 

Ateliers menuiserie, boulevard Doré
(Cl. J.-L. Humbert, octobre 2010)

 

La sortie des ouvrières  à midi en 1950
(Cl. P. Fort, “La bonneterie”, Bibliothèque de travail, n° 108, 1950, p. 18, Coll. MAHÉ, Troyes)

 

 

 

L’usine Doré ne trouve pas suffisamment de personnel dans le village pour la bonne marche de ses services. Aussi, un service de ramassage a lieu tous les jours ouvrables. Un car, d’une quarantaine de places, très confortable, deux autres voitures vont chercher les ouvriers dans les villages environnants, surtout dans la vallée de la Seine, et jusqu’à 12 et 15 kilomètres des Grès, touchant ainsi 14 villages. Beaucoup d’autres ouvrières et ouvriers viennent à bicyclette. Ils apportent leur repas de midi qu’ils peuvent faire réchauffer chez des amis, dans les cafés ; ou bien, ils peuvent prendre une collation à la “Popote” de l’usine ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Car assurant le transport des ouvriers en 1950
(P. Fort, “La bonneterie”, Bibliothèque de travail, n° 108, 1950, p. 23, Coll. MAHÉ, Troyes)

 

Les salaires versés par DD demeurent longtemps inférieurs à ceux perçus par les ouvriers troyens ou  romillons, mais la politique sociale de l’entreprise offre de nombreuses compensations. André Doré est en effet un patron paternaliste, bon père pour la grande famille que forment ses employés et unique détenteur de  l’autorité en matière de création et de gestion des œuvres sociales qui améliorent leur vie.

 

 

 

 

(3) Fontaine Saint-Georges devient Fontaine-les-Grès en 1859. Le hameau le Petit Saint-Mesmin est transféré de la commune de Saint-Mesmin à celle de Fontaine-les-Grès en 1866.

(4) Le coton utilisé à Fontaine-les-Grès provient des filatures de Lille, de Troyes, des Vosges et de Normandie.

 

 

 

@SCEREN - CRDP de Champagne-Ardenne, 2011