DD - DORE DORE

 

La fin d’une époque

 

 

 

Une activité qui s’amenuise

 

Au cours des années 1950, des impératifs techniques, notamment la taille des métiers, remettent en cause le système de la manufacture dispersée. La production se concentre de plus en plus dans l’usine de Fontaine et les grands ateliers de Troyes, Marigny-le-Châtel et Sézanne. Le renom de DD en France et à l’étranger demeure lié au chaussant même si l’entreprise produit des pulls à partir de 1967. En 1970, elle emploie 1 700 salariés. 

 

 

Réclame DD (1954)
(Coll. particulière)

 

 

Réclame DD (1960)
(Coll. particulière)

 

 

Réclame DD (1968)
(Coll. particulière)

 

Réclame DD (1974)
(Coll. particulière)

 

 

Réclame DD (1975)
(Coll. particulière)

 

 

Réclame DD (1983)
(Coll. particulière)

 

Collant Vendôme 40 deniers nacré en lycra tonic semi-opaque (fin du XXe siècle)
(Coll. particulière)

 

Collant brodé d’un motif chats/souris (fin du XXe siècle)
(Coll. particulière)

 

Collant Zanzi  (sous-marque de DD dont le nom est inspiré du jeu chinois qui se joue à deux dés qui font DD) 20 deniers (fin du XXe siècle)
(Coll. particulière)

 

 

En 1971, le paternalisme qui a longtemps épargné à l’entreprise  les mouvements sociaux, n’y parvient plus. Une poignée d’employés, pour la plupart adhérents au MRJC (Mouvement des jeunes chrétiens du rural), obtient la reconnaissance d’une section CFDT, dès lors très revendicative.
À partir des années 1980, la crise du textile amène la fermeture des ateliers de Sézanne en 1983 et de  Méry-sur-Seine en 1993.  En 1995, une usine relais est édifiée par la commune pour éviter la délocalisation. Les salariés d’Estissac sont transférés à Fontaine. Le réseau d’ateliers familiaux est supprimé en 1999. Les plans sociaux successifs  réduisent les effectifs à  560 employés en 2001.

 

 

Boîte publicitaire (2000)
(Coll. particulière)

 

Couvert publicitaire (années 2000)
(Coll. particulière)

 

L’entreprise n’a plus  les moyens de sa politique sociale, alors que dans le même temps les effectifs qu’elle emploie se réduisent. En 2001, elle vend  une centaine de logements et  une partie de son patrimoine immobilier  (stade, église, Popote, terrains...) à la commune. Plus que d’un changement de propriétaires, c’est d’un changement d’époque qu’il s’agit pour les 917 habitants (12) d’une localité dont l’histoire a été intimement liée pendant 180 années à celle d’une famille d’industriels dont  l’empreinte s’estompe.

 

 

Le patrimoine immobilier de Doré-Doré en 1908
(Coll. particulière)

 

Le patrimoine immobilier de Doré-Doré en 1958
(Coll. particulière)

 

En  2002, l’entreprise est placée en redressement judiciaire. En 2003,  elle est cédée à Gallo, industriel italien du chaussant haut de gamme. Celui-ci créé les sociétés DD 1819 (commercialisation) et DD industrie (fabrication) qui conservent 284 salariés  sur  520. En 2009, l’entreprise décide de supprimer 50 emplois, sur les 235 encore existants, d’ici à 2011. Elle met en effet en place une stratégie commerciale dédiée entièrement à la marque qui passe par l’innovation, la création de nouveaux produits et la recherche de systèmes de fabrication plus performants.

 

 

Entrée de l’usine Doré-Doré, avenue Maréchal Foch
(Cl. J.-L. Humbert, juin 2009)

 

Entrée de l’usine Doré-Doré, boulevard Doré
(Cl. J.-L. Humbert, juin 2009)

 

 

Des recherches à poursuivre

 

Au terme de cette description de l’ample politique sociale instiguée et menée par André Doré, des questions restent posées. Quelles ont été les motivations de ce grand entrepreneur ? Dans sa conférence de 1931 devant la Société d’études et d’applications sanitaires de l’Aube, il n’explicite pas les raisons de son engagement social, même si le lieu de son intervention n’est pas anodin puisqu’on y parle d’hygiène sociale. Il semble avoir eu le souci de la natalité française, dont la vigueur à ses yeux était un élément de la puissance du pays. Quelle a été sa formation ? HEC. Quelles sont ses convictions politiques ? Quelle part le catholicisme social prend-il dans son action quand on sait qu’André Doré s’est beaucoup préoccupé des édifices cultuels  de la localité et que les curés de Fontaine, proches de la famille, ont participé à la gestion des activités de loisirs (13) ? Il est élevé dans les principes catholiques.
En dehors des manifestations officielles de reconnaissance à la famille Doré, les sentiments réels des salariés  vis-à-vis de la politique sociale de leur entreprise restent mal connus, probablement partagés entre satisfaction pour les avantages offerts puis regrets de leur disparition (14). Par ailleurs, comment le paternalisme et  l’individualisme d’après 1968 ont-ils cohabité ? Quels ont été les rapports entre les agriculteurs locaux et la population ouvrière, socialement favorisée, même si André Doré a toujours pris soin d’offrir certains des services DD à tous les habitants de la commune (15)
Enfin, dernières questions dont les réponses conditionneront l’avenir  de l’exceptionnel patrimoine matériel et immatériel légué par l’entreprise. Quels sont les sentiments actuels des anciens de Doré-Doré et de la population à son égard ? Comment le protéger en l’absence d’adhésion de ceux qui en sont encore les utilisateurs ? Comment les éclairer  sur sa richesse afin de le sauvegarder d’abord,  puis de le valoriser, alors qu’une demande existe comme en témoigne la visite découverte de Fontaine-les-Grès organisée par l’association Sauvegarde et Avenir de Troyes à l’automne 2010 ?

 

 

L’Association Sauvegarde et Avenir de Troyes à la découverte de l’héritage Doré-Doré
(Cl. SAT, octobre 2010)

 

 

 

 

(12) Le maintien de la population peut s’expliquer par la péri-urbanisation: Fontaine est probablement devenu village-dortoir pour des salariés qui travaillent désormais dans l’agglomération troyenne.
(13) Gaëlle Moreira, étudiante en Master Sauvegarde, protection et inventaire du patrimoine culturel et environnemental  à  l’Antenne de Troyes de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, a soutenu en 2009  et 2010 un mémoire de master sur le thème de l’influence de la famille Doré sur le village de Fontaine-les-Grès dans lequel elle apporte des éclairages sur ces questions. Madame Loizillon, fille de l’ancien dirigeant de DD, précise qu’André Doré a fait HEC et qu’il a été élevé dans le catholicisme (entretien du 12 mars 2011, après la conférence de Jacques Fournier sur « Les marins de DD » à la Maison du Patrimoine de Saint-Julien-les-Villas).
(14) Depuis 2008, Julien Rocipon  et l’Association le son des choses réalisent à Romilly-sur-Seine et à Fontaine-les-Grès une collecte de témoignages oraux sur la vie des salariés dans le cadre d’un programme mené pour les Archives départementales de l’Aube. Elle permettra aux chercheurs de mieux connaître le quotidien des salariés de l’entreprise Doré-Doré.
(15) En 1932, lors du transfèrement de la mairie de Fontaine dans une salle du nouveau groupe scolaire des Grès, les agriculteurs s’y opposent. En effet,  « les habitants de Fontaine qui sont, pour la plupart, cultivateurs sont fréquemment appelés à consulter les documents cadastraux qu’ils ont intérêt, par suite, à voir maintenu à leur portée ». De plus, « l’élément agricole, qui constitue le fonds stable de la population, serait défavorisé au profit de l’élément industriel, si la mairie était transférée en dehors de l’agglomération de Fontaine, le hameau des Grès possédant déjà le bureau de poste et la régie » (Arch. dép. Aube, 2 O 1519, Fontaine-les-Grès, Mairie École).

 

 

 

@SCEREN - CRDP de Champagne-Ardenne, 2011